Castor et Pollux

Castor et Pollux

Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes (version originale de 1737) de Jean-Philippe Rameau sur un livret de Pierre-Joseph Bernard. Douze représentations jusqu’au 23 février 2025, à l’Opéra de Paris Garnier

Direction musicale : Teodor Currentzis;   Mise en scène : Peter Sellars; Télaïre : Jeanine de Bique; Phébé : Stéphanie d’Oustrac; Castor : Reinoud  Van Mechelen; Pollux : Marc Mauillon; Jupiter/Mars : Nicholas Newton; L’Amour/Le Grand Prêtre : Laurence Kilsby; Minerve : Claire Antoine; Une Ombre heureuse : Natalia SmirnovaOrchestre et Chœur Utopia.

Scénographie 2**
Interprétation 2**

Quelle tristesse, quel dépit !

Figer les moments contemplatifs, précipiter les allegros

Quelle tristesse, quel dépit ! On a rarement entendu direction musicale si erratique et si prétentieuse à la fois que celle de Currentzis dans Rameau, compositeur dont il ne parvient jamais à trouver la respiration, le rythme ni les appuis. Une seule idée préside à sa lecture : figer les moments contemplatifs, précipiter les allegros, jusqu’à hacher menu le moindre morceau, mettant en difficulté orchestre et chanteurs.

 

Toute saveur mélodique s’évapore

Le premier est de toute façon médiocre, avec des cordes rêches, peu homogènes dès l’ouverture, en déroute dans les danses de l’acte IV, une percussion tonitruante et un continuo chichiteux. Le chœur s’en sort mieux (en dépit de l’accent prononcé des messieurs) : on le félicitera de venir à bout d’un « Que l’enfer applaudisse » changé en gloubi-boulga… Etirés jusqu’à la nausée, jusqu’à ce que s’en évapore toute saveur mélodique, le divin rondeau « Renais, plus brillante » et le célèbre « Tristes apprêts » asphyxient leurs interprètes respectifs, incapables de timbrer à ce tempo. Quant au premier trio de Télaïre, Phébé et Pollux, à l’Acte III, il est confié au chœur, allez savoir pourquoi – tel était le bon plaisir du « chef » ?

CASTOR ET POLLUX
CASTOR ET POLLUX au Palais Garnier. Photo : Vincent PONTET.

Reinoud Van Mechelen sauve la musique de Rameau

Jeanine de Bique ne semble guère taillée pour Télaïre, rôle trop central qu’elle persiste à susurrer, au risque de rendre moins claire encore une élocution déjà problématique. Il est heureux qu’ont lui ait confié l’ariette finale destinée à une Planète, ce qui lui permet, fugitivement, de… briller. En Phébé, Stéphanie d’Oustrac commence par vociférer (et de façon pas très juste), avant de trouver ses marques à l’Acte III. On comprend chaque syllabe du rôle de Pollux : Marc Mauillon est un diseur hors pair – dommage qu’il parle davantage qu’il ne chante et que sa voix, qui n’a jamais été des plus séduisantes, se réfugie toujours plus dans le nez. Jupiter approximatif, Grand Prêtre sous-dimensionné, Ombre heureuse incompréhensible : on s’étonne que l’Opéra de Paris n’ait pu trouver de talentueux jeunes chanteurs (francophones) pour ces seconds rôles… Après, l’entracte Castor paraît et, enfin, le « Séjour de l’éternelle paix » de Reinoud Van Mechelen coule sur nous comme un baume, fait entendre un phrasé, une vibration, une couleur – un CHANT ! A lui seul et l’espace de quelques scènes seulement (hélas), le ténor flamand sauve la musique de Rameau.

CASTOR ET POLLUX
CASTOR ET POLLUX au Palais Garnier. Photo : Vincent PONTET.

Les réécritures woke

Côté plateau, le regard reste aimanté par les magiques vidéos, essentiellement nocturnes, d’Alex Macinnis, projetées en fond de scène : villes endormies, autoroutes, constellations, terre vue du ciel, nuages, astres rougeoyants enflamment l’imagination. Peter Sellars peut remercier son collaborateur, car lui-même se montre peu inspiré par l’ouvrage. Certes, on apprécie le naturel des enchainements et le tact avec lequel sont conduits certains dialogues, tels ceux de Télaïre et Pollux. Quelques gags font mouche : l’entrée des enfers située dans le clic-clac, celle des Champs-Elysées dans la table basse, par exemple. Mais il faut compter avec les réécritures woke : ce n’est plus la « beauté » qui « fait les déesses », mais la « valeur » ; Phébé ne se suicide plus mais reconquiert son chéri devant le frigo. Ainsi qu’avec une chorégraphie à base de FlexN (danse de rue typique de Brooklyn), en partie improvisée et globalement embarrassante : les poings brandis et esquisses de doigts d’honneur ne font pas bon ménage avec le style ramiste, et les dames se signalent par leur vulgarité. Les danseurs mâles, aux corps désarticulés, impressionnent dans leurs soli : belle idée de faire incarner l’âme expirante de Castor par un danseur au pied ailé. Mais, dans l’ensemble, cette scénographie qui se veut branchée et united colours of Benetton indispose par sa démagogie, sa pesanteur didactique, son opportunisme.

Olivier Rouvière

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Olivier Rouvière

REVIEWER

Diplômé en Histoire de l’Art et docteur en Lettres, Olivier Rouvière est journaliste musical, spécialisé en dramaturgie de l’opéra. Ancien producteur délégué à France Musique. Répertoires de prédilection : baroque et slave, au sens large.

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Bonetto
Bonetto
5 days ago

Michel Bonetto Ce mois de janvier a été pour nous très lyrique, hasard du calendrier et des œuvres choisies dans nos abonnements. Hier soir nous sommes allés voir un opéra que nous ne connaissions pas Castor et Pollux de JP Rameau à Garnier. Vous qui me suivez depuis longtemps dans mes appréciations vous savez que j’ai une nette préférence pour la période dite Romantique et du Bel Canto. Pour autant quand la mise en scène est bonne j’apprécie le Baroque. Les Indes Galantes ou Platée du même compositeur nous avait enchantés. La mise en scène de Peter Sellars m’a gâché un… Read more »

Olivier Keegel
Admin
5 days ago
Reply to  Bonetto

Merci pour votre intéressante contribution.

Yvan Beuvard
Yvan Beuvard
6 days ago

Je ne l’ai pas vu, très sceptique à l’endroit de Currentzis et de ses partis-pris. Ce que j’en ai entendu confirme en tous points le compte-rendu, un Reinoud van Mechelen stupéfiant de vérité et de beauté en particulier.