Le Vaisseau fantôme à Toulouse

Le Vaisseau fantôme à Toulouse

 un drame romantique tempétueux


Direction musicale Frank Beermann, Mise en scène Michel Fau, Décors Antoine Fontaine, Costumes Christian Lacroix, Lumières Joël Fabing, Le Hollandais Aleksei Isaev, Senta Ingela Brimberg, Erik Airam Hernández, Daland Jean Teitgen, Mary Eugénie Joneau, Le Pilote de Daland Valentin Thill, Orchestre national du Capitole, Chœur de l’Opéra national du Capitole

Représentation du 18/05/2025
Musique : 4 étoiles
Mise en scène : 4 étoiles

La magie du théâtre

Dans un entretien qu’il nous a accordé en marge des répétions du Vaisseau fantôme à Toulouse, l’homme de théâtre Michel Fau explique ses partis pris esthétiques et dramaturgiques : « Je ne fais pas des mises en scène académiques. Je ne fais pas de la reconstitution historique. Et pas davantage de la modernisation. C’est de la fantasmagorie. » Et dans ces mises en scène d’opéras (Strauss, Mozart, Berg, Rameau) ou d’opérettes » (La belle Hélène, Le Postillon de Lonjumeau), Fau mise sur la magie du théâtre, ses leurres et ses beaux mensonges. Histoire d’un fantasme qui s’incarne, Der fliegende Holländer ne pouvait qu’inspirer Fau. Un capitaine de vaisseau, Le Hollandais, maudit des mers a reçu le châtiment d’une errance éternelle, à moins qu’une femme fidèle accepte de mourir avec lui. Senta, hantée par un tableau et le triste récit de cette malédiction, se sacrifiera pour le suivre dans la mort. Les défis que pose la mise en scène de ce récit où la mer est omniprésente sont immenses et maints dramaturges les contournent. Michel Fau et son exemplaire équipe artistique – les toiles peintes et les décors d’Antoine Fontaine sont de toute beauté – affrontent les contraintes avec panache. Et le spectateur s’émerveille des images qui surgissent. La dissipation de la brume découvre le vaisseau de Daland qui s’amarre où la tempête l’a échoué. Le surgissement des flots du « vaisseau fantôme » accosté impose sa majesté inquiétante. Cette marine colossale devient par la vertu d’un encadrement descendu des cintres le tableau même où se perdent le regard et l’imagination de Senta, isolée dans le chœur des fileuses et leur bel alignement des rouets. Et c’est en franchissant le cadre – dans le sens plein du terme -, en abolissant la frontière entre rêve et réalité, que le Hollandais enjambant la rambarde pénètre dans l’univers matériel, tel le héros du film de Woody Allen La Rose pourpre du Caire. Cette trouvaille s’avère à la fois belle, fonctionnelle et respectueuse du récit. Les photographies donnent une idée fidèle de l’effet produit. L’ensemble esthétique emprunte aux mises en scène du XIX° siècle, aux illustrations de Gustave Doré mettant en images la Ballade du vieux marin de Coleridge. Les lumières et les costumes, les constructions de deux vaisseaux confèrent à l’ensemble une naïveté qui ramène aux livres illustrés en relief de nos enfances. L’imagination s’ouvre et l’émotion surgit.

Le Vaisseau fantôme à Toulouse
Crédits M. Magliocca

Pas de grand Vaisseau fantôme sans orchestre grandiose. Celui du Capitole de Toulouse dont on ne louera jamais assez la puissance de frappe, la richesse des couleurs, l’homogénéité et l’harmonie rend à la partition la variété des climats qu’elle recèle, l’humour et la grandeur, la véhémence, l’énergie et es envolées lyriques. Familier de la fosse, pétri de musique germanique, Frank Beermann à la baguette est le capitaine à la barre de ce splendide vaisseau. Les chœurs maison fascinent par leur engagement, leur autorité, la netteté de leur prestation. Aux saluts toutes les forces du Capitole (musiciens et choristes) sont justement acclamées, non par chauvinisme étroit, mais par reconnaissance de leur constante qualité musicale, ici magnifiée. Autre grand triomphateur, l’imposant Hollandais du baryton russe Aleksei Isaev. Fièrement drapé dans le beau costume d’un aventurier dessiné par le styliste Christian Lacroix, héros romantique tourmenté, non détruit par la malédiction, mais comme anobli et grandi par elle, le chanteur impose une voix généreuse, tonique, puissante. La Senta de la soprano suédoise Ingela Brimberg fait valoir son immense expérience du chant wagnérien, l’audace de ses aigus, la fermeté de la ligne, la richesse de sa palette. Perdue dans son rêve, elle donne à la célèbre ballade une intensité et une flamme qui impressionnent durablement : le feu couvant sous la glace. Chasseur énergique et engagé, Airam Hernandez, fidèle du Capitole, donne à Eric un relief nouveau par son engagement vocal et dramatique, l’acier d’une voix chaude, le sens des nuances. Le trio final entre le Hollandais, Senta et Eric constitue un grand moment qui emporte comme la houle. Le Daland vénal et matérialiste de Jean Teitgen, Valentin Thill et son énergie joyeuse, la silhouette très Dame Marthe d’Eugénie Joneau composent une galerie de savoureux portraits pittoresques.

Le Vaisseau fantôme à Toulouse
Crédits Mirco Magliocca

Une mise en scène intelligente et inventive

Intelligence et inventivité d’une mise en scène qui marie conventions et imagination, fougue d’un orchestre et d’un chœur aux mille couleurs, distribution vocale de premier ordre, sans faille, voilà un Vaisseau romantique mené à bon port avec sureté. L’accueil du public, applaudissant longuement même après la tombée du rideau, saluait une réussite splendide.

 Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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