Adrienne Lecouvreur en Noir et Blanc
A l’impossible nul n’est tenu
Direction musicale Giampaolo Bisanti, Mise en scène Ivan Stefanutti Adriana Lecouvreur Lianna Haroutounian Maurizio Vincenzo Costanzo Michonnet Nicola Alaimo La Princesse de Bouillon Judit Kutasi Le Prince de Bouillon Roberto Scandiuzzi L’Abbé de Chazeuil Pierre Derhet Mademoiselle Jouvenot Cristina Giannelli Mademoiselle Dangeville Marie-Ange TodorovitchP Poisson Damien Bigourdan Quinault Yuri Kissin Majordome Hun Kim. Danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra national du Capitole Juliette Itou, Luna Jušić, Charley Austin, Justine Scarabello, Georgina Giovanonni, Mathéo Bourreau Orchestre national du Capitole Chœur de l’Opéra national du Capitole
Représentation du 22/06/2025, l’Opéra national du Capitole, Toulouse.
Musique 3 étoiles
Dramaturgie 2,5 étoiles
Adrienne Lecouvreur
En son temps et dans son pays – le début du XVIII° siècle français – Adrienne Lecouvreur (1692 -1730) fut une star, une tragédienne adulée, une artiste de théâtre dont on louait les qualités dramatiques, l’intelligence, l’esprit, la culture et le charme. Amie intime de Voltaire qui a composé à sa mort une élégie indignée par le refus de l’Eglise de l’enterrer selon le rite chrétien, elle a fait l’objet bien après sa disparition d’une sorte de culte, lié à ses talents propres et alimenté par les rumeurs qui ont couru sur les conditions mystérieuses de son décès. L’hommage du critique Sainte Beuve en 1849 suivait de peu la pièce écrite par Scribe et Legouvé racontant les amours de la comédienne avec le futur Maréchal Maurice de Saxe, la jalousie de la Princesse de Bouillon, qui humiliée publiquement par sa rivale, lui envoya un bouquet de violettes empoisonné… et mortel.
Livret bancal
L’opéra de Cilea (1902) suit le même scénario, dont on sait aujourd’hui qu’il est historiquement faux. Mais qu’importe la vérité. Reste le drame et ses multiples péripéties, avec lettre interceptée, rendez-vous caché, quiproquo, fuite incognito, révélations différées, dissimulations d’identité, et pour finir la mort par empoisonnement. L’opéra de Cilea n’est pas à nos yeux un chef d’œuvre : le livret est bancal, le dialogue banal, pour ne pas dire indigent, la musique pesante. Seules une mise en scène et une interprétation flamboyantes peuvent sauver l’ensemble de l’ennui ou de l’indifférence. Ce n’est pas hélas ! le cas dans cette proposition, datée de 2002, présentée aujourd’hui à Toulouse, honorable, professionnelle, mais somme toute en deçà des attentes.

Noir et Blanc
Ivan Stefanutti, grand spécialiste de l’opéra italien, signe la mise en scène et les costumes de cette production que le dramaturge situe, non au début du XVIII° siècle mais à la belle époque du cinéma muet et donc en Noir et Blanc. Qu’ajoute cette transposition de l’intrigue au XX° siècle ? Pas grand-chose à nos yeux, cependant a priori intrigués par la référence au cinéma des divas et des stars telle la comédienne italienne Lydia Borelli (1884-1959) à laquelle le programme de salle fait explicitement référence. Mais cette transposition insolite et inutile permet de découvrir des décors où dominent le noir, des costumes contrastés – en noir et blanc -, une joliesse d’ensemble plus esthétique que signifiante. La direction d’acteurs est réduite au minimum et promeut une gestuelle ampoulée, « théâtrale » au mauvais sens du terme où on arpente la scène avec des gestes amplifiés. Est-ce la référence aux pratiques du cinéma muet qui autorise ces mimiques dépassées ? Si c’est le cas, le résultat ne se révèle pas à la hauteur des intentions. Quant au ballet présenté comme le Jugement de Pâris, il brille par sa pauvreté tant chorégraphique (avec ses réminiscences de l’Après midi d’un faune) que musicale.
Splendide Michonnet de Nicola Alaimo
Ce qui est rare au Capitole, le plateau vocal déçoit, à l’exception pour un des quatre principaux rôles, du splendide Michonnet de Nicola Alaimo. Ce grand baryton italien donne au personnage de l’ami fidèle et dévoué, de l’amoureux secret d’Adrienne une humanité et une dignité dans la souffrance qui concentrent l’attention sur lui. Legato parfait, sens de la scène, conduite du souffle, expérience lyrique d’une richesse exceptionnelle, – de celle qui nourrit chaque rôle -, irisation des couleurs, Alaimo – notamment dans son monologue du II – fait vivre au spectateur les seules véritables émotions lyriques et dramatiques de la représentation. Le public aux saluts ne ménage pas son enthousiasme, même s’il le partage avec les autres protagonistes eux aussi ovationnés. Le prince de Bouillon de Roberto Scanduzzi – rôle évidemment de moindre importance et de moindre intensité – consacre la solidité de ce qu’on pourrait rapidement nommer l’école italienne du chant.

Les protagonistes
Dans le rôle-titre, la soprano « verdienne » Lianna Haroutounian fait de la tragédienne célèbre un personnage plus théâtral qu’humainement touchant. Desservie par une direction d’acteurs qui lui impose de jouer continûment les divas ou les Sarah Bernard (ou les Duse, si on veut rester dans le contexte italien et la période), elle semble rester au dehors du personnage douloureux. L’air d’entrée « Io son l’umile ancella / del Genio creator », sorte de Vissi d’arte moins inspiré – Cilea est loin d’être Puccini – et l’épisode de la mort sont les moments forts où la voix déploie sa puissance et son éclat. Le public l’acclame aux saluts. Peu touchés par l’émotion, nous serions un peu plus tièdes.
Le jeune ténor italien Vincenzo Costanzo (il est né en 1991) chante sur de nombreuses scènes européennes des rôles lourds. Remplaçant au pied levé après la générale José Cura souffrant, il fait valoir une voix tendue, riche d’éclats, mais à la technique parfois insuffisante pour venir à bout de Maurice. La roumaine Judit Kutasi qui sera Amneris dans l’Aida de l’Opéra Bastille en octobre est un bouillonnement de colère et de jalousie permanent.La direction d’acteurs ne l’aide guère à imposer son autorité de femme blessée. Seule la voix, ardente et ample, sert un personnage par ailleurs sans nuances. En Abbé de Chazeuil cauteleux, Pierre Dheret présente une composition théâtrale très réussie et une voix de ténor lyrique agréable et tonique.
L’Orchestre du Capitole dont on salue pour chaque production ou concert l’excellence tente, sous la direction expérimentée Giampaolo Bisanti d’alléger la pâte sonore, de gommer les effets les plus rustiques, d’atténuer la rutilance artificielle d’une partition pesante. Mais, comme pour la mise en scène, à l’impossible nul n’est tenu. Un confrère se demandait si l’Adrienne Lecouvreur de Cilea méritait d’être régulièrement représenté. Il répondait par l’affirmative. Nous serions bien plus nuancés que lui.