A propos d’une Tosca en version resserrée
Marie-Laure Garnier Tosca, Joel Montero Mario, Christian Helmer Scarpia, Adrien Fournaison Angelotti, Etienne de Bénazé Spoletta, Mathieu Gourlet Il sagrestano, Sciarrone, Les Métaboles, Les Frivolités parisiennes.
Alexandra Cravero direction musicale Florent Siaud (mise en scène), Romain Fabre (scénographie), Nicolas Descoteaux (lumières), Eric Maniengui (vidéo), Jean-Daniel Vuillermoz (costumes)
Perpignan, Théâtre de l’Archipel, 09/03/2025
Musique : 3 étoiles
Mise en scène : 4 étoiles
A propos d’une Tosca en version resserrée
Créée au Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne en avril 2024, l’adaptation de l’opéra de Giacomo Puccini signée Coutris et Waksman met bien des atouts de son côté pour offrir à des spectateurs éloignés des grandes institutions lyriques nationales ou régionales un spectacle de qualité, mis en scène par un metteur en scène de renom, Florent Siaud, interprété par des musiciens et des chanteurs d’excellent niveau. L’objectif de démocratisation est assumé et c’est en ayant bien présent en tête cet impératif que nous devons juger de ce spectacle. En moins de cent minutes, sans amputation du rôle de Tosca et sans entracte, se déroule sous nos yeux, un drame concentré et haletant, privé de quelques scènes et des chœurs (ils ont été enregistrés pour le Te Deum).
La question que posent les spécialistes et que ne se posent absolument pas les spectateurs ni pendant ni après le spectacle est celle de la fidélité à Puccini. Pesons les arguments.
Les coupes musicales
Quid de l’orchestre puccinien ? La réduction a été réalisée à Benoit Coutris par ailleurs instrumentiste réputé et professeur de trombone en conservatoire. Fabien Waksman (récompensé d’une Victoire de la musique classique en 2023) est responsable des coupes musicales : le compositeur français entre autres œuvres a écrit plusieurs opéras, tels L’Oiseau de Glace ou Epic Falstaff avec le librettiste et metteur en scène Florent Siaud interprétés à l’opéra Bastille en 20127 et 2018 par des collégiens issus de quartiers difficiles. Ces deux références musicales disent la qualité et l’exigence de la réduction proposée. La formation des Frivolités parisiennes dirigée par Alexandra Cravero, dont nous avions apprécié la dynamique ardeur dans la comédie musicale Les Misérables au Chatelet en décembre 2024, est réduit à cinq bois, quatre cuivres, un quintette à cordes, une harpe et des percussions. C’est un peu léger pour Puccini, et certains effets dramatiques sont émoussés, mais nous apprécions davantage ici et là la finesse et la délicatesse d’une partition plus subtile qu’on ne le croit souvent. L’amenuisement a cependant une conséquence inattendue : l’orchestre joue parfois trop fort pour compenser. La balance, chaque jour différente selon les salles, ne doit pas être aisée à trouver et à maintenir. Mais tous ont à cœur de servir avec flamme la musique même allégée du compositeur. Et ce Puccini « de chambre » nous change des grandes messes clinquantes, boursouflées et déclamatoires, gorgées de sanglots et de spasmes dont certains chefs nous ont parfois rassasiés. L’important dans Tosca est la tension, l’art de concentrer les énergies, de créer un arc électrique et à cette aune-là, la mission est accomplie.

Privée du grand air « Recondita armonia »
Quid de l’œuvre ? Trente minutes de moins dans un récit dramatique et lyrique, et dans la musique, ce n’est pas rien. Est-on frustré ici ? Avouons-le. L’entrée in medias res ou presque avec l’arrivée de Floria Tosca dans l’église où peint Mario s’avère un peu abrupte. Certes on avait assisté un peu avant à l’irruption d’Angelotti et à son bref échange avec Mario. Mais le discours du sacristain est notablement coupé et surtout, surtout, « on » nous prive du grand air du peintre « Recondita armonia ». La page, difficile, cueille à froid le ténor. Mais rien n’explique sa suppression. Rien surtout ne la justifie. La production devait-elle s’en tenir à un minutage imposé ? C’est le seul point que nous accordons aux détracteurs de cette production « resserrée ». Le deuxième acte est donné dans son intégralité et le dernier commence par « E lucevan le stelle », supprimant les interventions du berger et du geôlier. L’essentiel est sauf. La démarche s’inspire du travail opéré dans La tragédie de Carmen, créée en 1981, par la rencontre de Jean-Claude Carrière, Peter Brook et Marius Constant autour de l’opéra de Bizet. Cette adaptation chambriste de l’œuvre de Bizet mise en scène en 2019 par Florent Siaud et produite par le Théâtre Impérial de Compiègne a parcouru l’hexagone selon les mêmes principes de diffusion : aller « de scènes municipales en scènes pluridisciplinaires afin de rejoindre le plus grand nombre de spectatrices et spectateurs sur tout le territoire ».
Trois personnages du drame
La dramaturgie de la Tosca en version resserrée se concentre sur les trois personnages du drame, conçu comme une tragédie en trois temps et trois déclinaisons d’une même aire scénique. Unité d’action, unité de temps – que souligne le motif récurrent de l’horloge -, et dès lors unité de lieu, puisque le même décor écarlate rouge enserre le déroulement du récit. La même cloison festonnée s’ouvre par des baies sur des espaces inconnus. Les accessoires suffisent à varier l’identification de l’espace : des rangées de prie dieu, une croix pour l’église initiale, un billard connotant le goût du luxe et du jeu de Scarpia au II, un cercueil et la haute silhouette de l’archange au sommet du Château Saint Ange pour annoncer la mort des deux héros. Ce dispositif simple, pertinent, la suppression de l’entracte, le précipité de rideau pour assurer la fluidité des changements deviennent autant d’éléments qui donnent à l’action toute sa tension. Chaque spectateur, quel que soit son degré de connaissance du sujet ou du genre lyrique, est pris dans l’engrenage mis en place efficacement par le livret, la musique, la mise en scène. Version resserrée certes, mais fidèle au sens et la singularité de l’opéra de Puccini.

Une puissante voix
Ce texte ne se veut pas compte rendu de la représentation. Il faut cependant dire un mot de l’interprétation vocale. Marie Laure Granier construit un vrai personnage que les circonstances transforment – élèvent – en quelques heures en personnage de tragédie. Celle qui dévouait sa vie tout entière à l’art et à l’amour devient une femme harcelée et le meurtre qu’elle commet la mue en Lady Macbeth qui, dans un geste hypnotique impressionnant, cherche vainement à effacer la souillure du sang sur ses mains. La soprano allège sa puissante voix dans le premier duo, et délivre un « Vissi d’arte » douloureux dont les accents frissonnants emplissent la salle. Scarpia – trop souvent confié à des barytons grisonnants – a l’énergie, la force altière, la noirceur torride de Christian Helmer. Moins fouillé psychologiquement, Mario peine davantage à convaincre par la voix de Joël Montero, qui a de belles notes, mais peu de musicalité.
La course à la mort de Floria vers la statue de l’archange alors que le rideau se ferme et les derniers accents de l’orchestre soulèvent un tonnerre d’applaudissements. Le public renoue avec l’opéra qui ne fait escale dans la ville qu’une fois par an environ. On sait déjà que le prochain opéra programmé fera le plein. Certes, Bizet, Puccini, un autre compositeur plus grand peut-être que les deux cités ne renouvellent guère la curiosité. Mais le fonds culturel du genre lyrique doit être conservé, entretenu, enrichi par des approches originales et respectueuses. Le prix du billet (38 euros pour les meilleures places), l’accès ainsi facilité à des catégories sociales moins aisées, le rajeunissement notable de l’âge des spectateurs, le choix et la notoriété du titre, la concision du spectacle, et bien évidemment la qualité théâtrale, musicale et lyrique du spectacle s’avèrent le garant d’un succès dont nous devons tous nous réjouir.
Je n’en suis pas convaincu. Qui dit que les personnes qui découvrent le répertoire de l’opéra vont abandonner à cause de la durée d’un opéra ? Un nouveau venu dans le répertoire pourrait très bien apprécier chaque seconde d’un opéra comme Tosca, qui n’est pas si long. Rien n’indique non plus que les personnes qui doivent parcourir de longues distances veulent nécessairement des opéras plus courts. Tant que l’opéra « vaut le voyage ». Le lien ne peut pas être établi et ne l’a jamais été. La phrase « Nous préférons la compression pour des raisons d’action politique et de… Read more »
-Interrogé par nos soins, le metteur en scène Florent Siaud a bien voulu nous répondre sur les raisons de telle ou telle suppression. Nous lui sommes très reconnaissants pour son éclairante contribution : « Nous sommes dans une version resserrée, qui est présentée à un public qui fait souvent ses premières armes avec ce répertoire ; le format quasiment cinématographique, condensé et sans entracte, d’1h40, est un argument majeur pour plonger, sans se laisser effrayer par la mécanique de l’opéra, qui recourt aux formats longs et aime les champagnes aux entractes (et ce n’est pas moi qui vais critiquer ces formats,… Read more »