Voyage d’automne. En contraste absolu, les deux créateurs de l’opéra ont imaginé un personnage féminin allégorique. Lumineuse, parée d’une robe d’un blanc pur, la Songeuse – titre d’une élégie de la poétesse juive allemande Gertrud Kolmar, assassinée à Auschwitz – représente hautement la force inébranlable de la Poésie , seule capable de vaincre les forces de la destruction et de l’oubli.
Sonya Yoncheva. Tragédienne et (presque) reine. Et la diva triomphe dans le grand air de Vitellia de La Clemenza di Tito de Mozart « Ecco il punto, o Vitellia ! … Non più di fiori ». L’onctuosité du timbre, la souplesse de la voix, la profondeur des graves, la ligne mélodique, la musicalité, le chatoiement des couleurs que soutient une orchestration admirable couronnent le récital.
Samson de Joachim Raff. Maitre d’œuvre musical de l’enregistrement, le chef suisse Philippe Bach à la tête d’un Berner Symphonieorchester engagé, énergique et raffiné, reste attentif à toutes les nuances d’une partition puissante et généreuse, aux affects multiples. Il en capte les moments d’émotion, déchaine les forces du combat collectif, célèbre les dynamiques d’une construction dramatique sans baisse de tension.
Nabucco au Capitole. La célébrité du chœur « Va piensero », lamento des exilés et chant d’espoir d’un peuple opprimé, a fait de Nabucco un hymne à la liberté, toujours d’actualité. Et l’immense et superbe aile blanche – couleur associée ici aux Hébreux – oriente notre perception vers cette dimension universelle. L’aile déployée qui orne de nombreuses statues et bas-reliefs babyloniens par un renversement esthétique astucieux manifeste in fine la lutte pour la liberté de chacun sur une terre réconciliée.
Méli-mélo linguistique et lyrique – saisi par Edith Wharton. Acceptons-nous encore par exemple de fondre devant la Tosca de Régine Crespin chantée en français ? Irions nous voir un Faust ou une Carmen dans les pays de l’Est chanté en langue du pays hôte ? Ferions-nous la fine bouche devant un Boris ou un Onéguine interprétés en italien ?
Eugène Onéguine au Capitole. Le Lenski du ténor norvégien Bror Magnus Tødenes émeut tout autant dans sa déclaration d’amour à Olga et dans un « Kouda Kouda » délivré avec une mélancolie résignée.
Jodie Devos. Nous l`avions entendue à Toulouse en février 2018 dans un récital. Nous écrivions : « La jeune chanteuse belge a donné ce jour dans le cadre des Midis du Capitole un récital ciselé et lumineux construit essentiellement sur des poèmes en langue française (Verlaine, Mallarmé, Apollinaire, Cocteau…) mis en musique (Debussy, Poulenc, Roussel). Le choix des textes et des mélodies relève du goût le plus sûr et leur interprétation fait valoir une diction nette, une perception de la poésie déliée, le sens du dire et du mot, une voix radieuse, fraîche et vive, des vocalises virtuoses, une musicalité ô combien séduisante » .
Don Quichotte. La musique est d’un lyrisme discret, sans « grand air » qui s’inscrive dans la tête, mais son charme est certain. Servie par un Orchestre de l’Opéra de Paris qui respire à ses rythmes, elle s’épanouit sous la baguette experte Patrick Fournillier, grand spécialiste du compositeur. Pas un temps mort, des couleurs, des demi-teintes, une souplesse, un sens de l’action dramatique, une réussite exemplaire. Christian Van Horn est un grand Don Quichotte qui restitue en profondeur la noblesse d’un cœur blessé et qui pardonne, un Cyrano dont l’héroïsme est dans l’amour, dans l’espérance et la charité – vertus chrétiennes dont le compositeur se fait ici le chantre -. La voix est harmonieuse, pleine et chaude, l’articulation de la langue sans reproche.
Pelléas et Mélisande. Souplesse de la ligne musicale, couleurs infinies, irisations orchestrales installent un climat frémissant. Les embryons de phrases prennent leur temps pour se développer, comme à tâtons, et le chant, retrouvant le recitar cantando originel, laisse s’exprimer, comme malgré lui, des secrets enfouis, des craintes inavouées, des pulsions cachées, des colères longtemps tues, des passions qui affleurent.
Cendrillon au pays des Ziegfeld Follies. Musicalement la fête est totale, grâce d’abord à la direction de Michele Spotti. Le chef italien, maitre d’œuvre d’un Guillaume Tell à Marseille sensationnel, fait de cette musique un feu d’artifice permanent, avec ses fusées, ses grandes roues, ses éblouissantes cascades, ses accélérations phénoménales qu’un orchestre du Capitole survolté assure avec panache.