Giulio Cesare in Egitto est un opéra renommé qui met en scène l’histoire captivante de Jules César en Égypte. L’opéra entremêle magnifiquement le drame, l’amour et les intrigues politiques sur fond de civilisation égyptienne antique. Avec sa musique puissante et son récit captivant, Giulio Cesare in Egitto continue d’envoûter les publics du monde entier, ce qui en fait un classique intemporel de l’opéra.
Giulio Cesare in Egitto
Dramma per musica. Haendel.
Direction musicale Christophe Rousset, Mise en scène Damiano Michieletto, Décors Paolo Fantin, Costumes Agostino Cavalca, Giulio Cesare Rose Naggar-Tremblay, Cleopatra Claudia Pavone, Cornelia Irina Sherazadishvili, Sesto Key’mon Murrah, Tolomeo Nils Wanderer, Achilla Joan Martín-Royo Nireno William Shelton, Curio Adrien Fournaison, Les Talens Lyriques.
Jules César, coproduction Opéra national du Capitole / Théâtre des Champs-Élysées / Oper Leipzig / Opéra national de Montpellier / Teatro dell’Opera di Roma, 2022
Représentation du 23/02/2024. Capitole, Toulouse
Musique 4 ****
Mise en scène 3 ***
Jules César, Théâtre du Capitole
Donnons d’abord la parole au spécialiste des opéras de Haendel, chroniqueur régulier d’Opera Gazet, Olivier Rouvière – cliquez ici. Auteur d’un vade mecum sur les opéras « italiens » du compositeur (Van Dieren éditeur, Paris, 2021), il analyse Giulio Cesare in Egitto créé à Londres le 20 février 1724 en ces termes : « […] l’opéra qui débute avec une tête coupée, se poursuit avec diverses tentatives de viol, de suicide ou de meurtre et s’achève par deux trépas (presque) en scène reste un des plus violents du saxon, des plus éloignés du « bon ton » alors de mise dans les ouvrages italiens ». Et il évoque « un livret baroque, boursouflé, parfois mal construit et confus […], mais toujours palpitant, prodigue en situations fortes et caractères puissants ». Résumons le récit à gros traits. Jules César a poursuivi en Egypte son rival politique Pompée. Croyant gagner les faveurs du consul romain, le roi Ptolémée offre à César la tête coupée de l’illustre romain. Horrifié, César jure au nom de Cornélia la femme de Pompée et de son fils Sextus, de venger cette mort. Il s’allie avec la sœur de Ptolémée, Cléopâtre qui tombe amoureuse de César et réciproquement. Après une série de revers, l’opéra se termine sur leur triomphe.
L’inutile, le saugrenu, l’excès
Il n’est pas facile d’animer un opéra baroque de quelque 4 heures, riche de 40 airs, d’en faire éprouver l’intensité dramatique. Trop de metteurs en scène multiplient les parasitages au lieu de donner plein pouvoir à la musique et au chant. Damiano Michieletto dans une production proposée au Théâtre des Champs Élysées et à Montpellier en 2022 n’évite pas cette tentation, au risque de la surcharge. Dans sa réalisation, le meilleur côtoie non le pire, mais l’inutile, le saugrenu ou l’excès. Et selon son humeur ou sa conception de ce que peut être une représentation d’opéra, selon les épisodes et les scènes, le spectateur sera agacé ou intrigué, s’irritera ou s’émerveillera. Ainsi, qu’on ne veuille pas habiller les personnages à la romaine façon péplum hollywoodien, on peut l’accepter. Mais qu’ajoutent les costumes contemporains qui ne sont pas plus intemporels que les toges courtes ou longues ? On substitue à une convention une autre convention… pour une efficacité dramatique incertaine. L’apparition de Cléopâtre dans sa robe et son tablier de soubrette à la Feydeau désacralise encore inutilement. On sait Haendel non dépourvu d’humour et de transgression. Mais la référence à un théâtre suranné tue la grandeur. On pourra en revanche apprécier le traitement des rapports de force entre Tolemo et César au cours du diner avec son renversement des rôles et l’humiliation du roi égyptien : l’image en accord avec une musique pleine de dérision synthétise parfaitement la psychologie des deux adversaires et les enjeux politiques de la situation.

Nu au premier acte, le décor immaculé évolue au fil du drame d’abord en s’ouvrant sur l’arrière-fond du royaume des morts, celui des Parques et des ombres, puis en multipliant les fils rouges, au sens premier du terme. L’apparition pertinente des sénateurs romains en toge pendant l’air martial de César et au final ouvre aussi l’opéra sur l’Histoire : elle préfigure les Ides de Mars fatales au héros. De même on peut défendre leurs coups d’épée dans le rideau transparent pendant l’air « Aure, deh, per pietà« , comme si toutes épreuves du héros annonçaient l’ultime. La récurrence des Parques dévêtues place l’opéra sous la haute autorité des récits mythologiques. Déroulant ou coupant le fil rouge du destin, elles sont censées apporter grandeur, noblesse et le but est souvent atteint. Mais on peste quand les divinités apparaissent masquées d’un crâne de bête (Anubis ?) pendant l’admirable « Se pieta » de Cléopâtre, avant que la soprano se voit contrainte de chanter avec cette prothèse animale sur la tête. Les scènes entre César et Cléopâtre sont traitées avec raffinement : ainsi de celle des flambeaux du « V’adoro pupille ». Et la récurrence de l’ombre de Pompée ne manque ni de grandeur, ni de sens. On pourrait multiplier les exemples d’une dramaturgie riche, complexe, inégale. On le voit : des idées, des images, des ratés, des réussites. Mais une vision sémantiquement pertinente s’impose : le dramaturge fait de l’œuvre un récit de la transmission, du père au fils, de Pompée à César, de César à Cléopâtre, sous le sceau de la Mort, passée ou à venir. La scène devient une Grande Vanité où circulent les signes avant-coureurs des tragédies, tels l’assassinat de César ou la mort de Cléopâtre. Cette réflexion sur le caractère éphémère du pouvoir est la bienvenue, en plein accord avec la splendide méditation du héros « Alma del gran Pompeo ».

La réussite de la représentation tient d’abord à la maitrise de Christophe Rousset à la tête de ses magnifiques Talens lyriques. Pas une faute de goût, pas un choix de tempo qui ne soit convaincant, pas un temps mort dans la conduite fluide du long récit musical. Gorgée de sucs, de sève, de rythmes, la partition déroule ses sortilèges, ses pulsations, ses temps méditatifs, rêveurs ou martiaux avec une efficacité dramatique qui emporte l’adhésion d’un public enthousiaste aux saluts. Le cor sonne avec faconde et ironie, le violon solo est finesse et tendresse, le continuo souligne l’urgence ou accompagne le recueillement. Tous soutenus par un chef inspiré, grand spécialiste de l’opéra baroque, servent une musique aimée avec cœur et jubilation. Quel atout pour les chanteurs ! Claudia Pavone est une Cléopâtre, d’abord mutine et enjouée, que les épreuves et l’amour transforment en femme hantée par la mort. La voix se joue des difficultés techniques pour triompher dans un « Da tempeste » qui émerveille. En Giulio Cesare, Rose Naggar-Tremblay fait valoir un timbre mordoré et les multiples facettes d’un héros amoureux et guerrier, désemparé et déterminé à la fois, partagé entre les pulsions contraires d’Eros et Thanatos. Key’mon Murrah remporte dans le rôle de Sesto un triomphe mérité. Le jeune contre ténor américain, virtuose et engagé, mérite qu’on retienne son nom et qu’on suive une carrière à coup sûr prometteuse. La mezzo géorgienne Irina Sherazadishvili parvient à faire évoluer le rôle un peu monolithique de Cornelia, veuve aux multiples déplorations et offre avec Sesto un duo douloureux et digne fort émouvant. Un brin caricatural, le Tolomeo de Nils Wanderer traduit avec efficacité l’ambiguïté dramatique et musicale d’un personnage compulsif, proche de la folie et du dérèglement des sens et signe une belle performance d’ensemble. La découverte du baryton-basse Joan Martín-Royo en Achilla confirme la belle tenue d’une distribution investie.
L’entrée au répertoire du Capitole de l’opéra de Haendel s’avère une réussite magnifique. Quelques heures après la représentation, on a oublié les déconvenues ou les irritations pour ne retenir que les joies d’un spectacle total, inventif et musicalement accompli.