Don Giovanni à Toulouse

Don Giovanni à Toulouse

L’heureuse audace de la tradition

Mozart-Don Giovanni – Bisatti/Jaoui – Capitole Toulouse – 20-30/11/2025

Direction musicale Riccardo Bisatti / Mise en scène Agnès Jaoui / Décors Éric Ruf / Costumes Pierre-Jean Larroque / Lumières Bertrand Couderc / Vidéo Pierre Martin Oriol / Don Giovanni Mikhail Timoshenko / Leporello Kamil Ben Hsaïn Lachiri / Donna Elvira Alix Le Saux / Donna Anna Marianne Croux / Don Ottavio Valentin Thill / Zerlina Francesca Pusceddu / Masetto Timothée Varon / Il Commendatore Adrien Mathonat / Orchestre national du Capitole Chœur de l’Opéra national du Capitole

Coproduction Opéra national du Capitole, Opéra de Marseille, Opéra National Montpellier Occitanie, Opéra de Dijon, Opéra de Tours

Représentation du 23 novembre 2025. Seconde distribution.

Musique 4 étoiles
Dramaturgie 4 étoiles
Don Giovanni, à découvrir sur la scène du Théâtre du Capitole, du 20 au 30 novembre 2025

Don Giovanni à Toulouse

Pendant l’année 1787, celle de la création du Don Giovanni de Mozart, trois opéras sont montés sur le même sujet. Et si on prend la décennie qui précède, avec des sous-titres variés, Il Convitato di pietra ou Il Dissoluto, l’adaptation de la vie du héros popularisé par Tirso de Molina dans El Burlador de Sevilla y convidado de piedra (1630) a nourri des dizaines de livrets d’œuvres lyriques. Avec des invariants dramatiques ou comiques : le duel avec le Commandeur, le meurtre, l’échange des manteaux entre le valet et son maitre, l’apparition de la statue au diner final…  Quant aux lectures que les metteurs en scène – ou les commentateurs – ont faites du chef d’œuvre de Mozart et Da Ponte, elles rempliraient des bibliothèques. Faut-il pour autant ajouter une nouvelle conception et grossir le catalogue des idées prétendument neuves ? Le Capitole fait le pari réussi, plébiscité par le public, d’une conception soignée, et sagement, bellement traditionnelle.

La grande maison lyrique toulousaine, en coproduction avec quatre autres institutions régionales, a confié le soin de proposer Don Giovanni à l’actrice et réalisatrice Agnès Jaoui, très connue du public français pour ses nombreux rôles au cinéma et au théâtre.  « J’ai voulu rester – dit-elle – dans le contexte historique d’une Espagne dont la morale est une chape de plomb. La grande force de Don Juan, c’est de frapper au cœur de la question du désir au point de faire vaciller le conformisme social, le jugement moral, la contrainte religieuse ».

Le cadre spatial s’inspire de deux cultures, esthétiquement mêlées. Une Espagne du XVI ° siècle rigoriste, sèche, rude, obscure à laquelle les décors d’Éric Ruf – qui a été onze ans à la tête de la Comédie française – donne le profil d’une ville austère, vaguement carcérale, sans échappatoire. Et des réminiscences vénitiennes, avec les façades percées d’élégantes ogives quadrilobées, des balcons suspendus. Des lumières étudiées donnent de la profondeur et du mystère aux scènes dramatiques, telle celle du cimetière par exemple. Les pans du décor glissent, se divisent ou s’escamotent pour définir simplement les lieux de l’action. Costumes à la fois sobres et sombres, toujours raffinés, définissent les classes sociales. La lisibilité est l’atout maitre de cette conception, sage, probe, sans intellectualisme provocateur, sans modernité tapageuse. Rendre l’œuvre accessible à tous, jeunes ou vieux, sans prétention autre que le bon goût, le travail bien fait, la belle ouvrage comme on dit en français en parlant d’une œuvre artistique particulièrement soignée et réussie. Le public fait un triomphe à cette proposition modeste et digne. Tant de Don Giovanni et autres dramaturgies nous ont souvent propulsés dans des morgues, des cliniques psychiatriques, dans des ailleurs improbables que nous goûtons sans réserve cette illustration honnête, réfléchie, lumineuse, servie par des techniciens aguerris et par une distribution saine, jeune, dynamique.

Don Giovanni à Toulouse
Crédit photo Mirco Magliocca

Le jeune chef italien Riccardo Bisatti, né en 2000, par ailleurs pianiste virtuose, a déjà dirigé Don Giovanni dans son pays où il est considéré comme une valeur montante de premier ordre. Son interprétation dans la fosse du Capitole, avec un Orchestre des grands jours, marque une belle entrée à Toulouse. Fougue, équilibre, sens des nuances et de la dynamique, accompagnement maitrisé des chanteurs, habileté à corriger quelques écarts ou contretemps venus du plateau, richesse et pertinence de la palette chromatique, une forme d’humour rendent justice à la pluralité des climats souhaités par Mozart, entre fantastique ironique et dramatique, jovialité, lyrisme et humanisme. C’est à nos yeux – et surtout à nos oreilles – le grand triomphateur de cette matinée. Le désir est grand de retrouver Riccardo Bisatti, dont chacun se plait par ailleurs à louer la gentillesse et la bienveillance, en France et singulièrement au Capitole.

Don Giovanni à Toulouse
Crédit photo Mirco Magliocca

Dans le rôle-titre Mikhail Timoshenko, né en 1993, confirme les qualités repérées ici même dans Boris Godounov (Andreï Chtchelkalov). Le baryton-basse russe est un Don Giovanni fougueux, alerte, dont « l’air du Champagne » semble la devise. Une Sérénade énamourée et sereine contraste avec la violence hautaine de la scène du Diner final. Art des alliances de distribution où Christophe Ghristi, directeur artistique du Capitole, excelle, Don Juan et Leporello sont ici pleinement assortis, tels deux mauvais génies associés. On a applaudi au Capitole en 2021 le baryton belge Kamil Ben Hsaïn Lachiri en Papageno ailé dans une Flûte inégalement inspirée. Ses atouts sont innombrables : jeunesse, dynamisme, vis comica, agilité de la voix… L’Elivra d’Alix Le Saux est plus émouvante qu’insensée, dans cette vision féministe de l’opéra. La beauté d’une voix riche d’harmoniques et de couleurs sert une incarnation élégante qui anime un « Mi tradi quell’alma ingrata » fiévreux. Marianne Croux a la dignité de l’aristocrate blessée, sans les troubles sentiments qu’on lui prête souvent pour son séducteur. Elle vainc sans coup férir les difficultés techniques et stylistiques du « Non mi dir » dont elle restitue le pathétique lyrisme. Le public cède au charme de la Zerline de Francesca Pusceddu, fraiche paysanne tombant sous l’emprise de son aristocratique prédateur.  Don Ottavio permet à Valentin Thill, vu et entendu au Capitole régulièrement, de faire valoir son timbre lumineux et la qualité de la ligne de chant. En fiancé viril et ferme, il efface dans nos souvenirs bien des galants pâlots et fades.  La basse française Adrien Mathonat chante Masetto dans la première distribution de cette production, et en cette matinée, le Commandeur, rôles qu’il a déjà éprouvés au Festival des Soirées lyriques de Sanxay. Sa stature impressionne pour incarner un « revenant » de noble lignée. Timohée Varon qui a dans son répertoire le rôle de Don Giovanni, Guglielmo et Papageno est un Masetto tonique, qui ne s’en laisse pas compter. Les Chœurs et l’orchestre sont au diapason de leur réputation, magnifiques.

 

Cette production sert l’opéra de Mozart

Ce Don Giovanni de bon aloi et visuellement réussi ne renouvelle pas notre connaissance de l’œuvre. L’intention est tout autre :  cette production sert l’opéra de Mozart, au lieu de s’en servir à des fins nombriliques. Et elle permet de passer une matinée épanouie en une période sombre que la musique de Mozart, bien servie par une troupe jeune et homogène, une nouvelle fois réenchante.

 Jean Jordy

Ce compte rendu aura été ma dernière contribution à Opéra Gazet. Mes remerciements les plus chaleureux vont à Olivier Keegel qui m’a accueilli avec son aménité coutumière, m’a toujours manifesté sa pleine et entière confiance, s’est montré très indulgent pour mes limites informatiques et avec lequel nous avons partagé, dans une égale ferveur, notre amour de l’art lyrique. Cette expérience d’écriture sous sa fraternelle tutelle restera un superbe souvenir. Bon vent au nouvel Opéra Gazet.
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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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