Adriana Lecouvreur
Drame en quatre actes de Francesco Cilea sur un livret d’Arturo Colautti, créé le 6 novembre 1902 au Teatro lirico de Milan.
Huit représentations du 16 janvier au 7 février 2024, à l’Opéra de Paris Bastille
Direction musicale : Jader Bignamini; Mise en scène : David McVicar; Adriana Lecouvreur : Anna Netrebko; Maurizio, comte de Saxe : Yusif Eyvazov; La Princesse de Bouillon : Ekaterina Semenchuk; Michonnet : Ambrogio Maestri; Le Prince de Bouillon : Sava Vemic; L’Abbé de Chazeuil : Leonardo Cortellazzi; Quinault : Alejandro Balinas Vieites; Poisson : Nicholas Jones; Mademoiselle Jouvenot : Ilanah Lobel-Torres; Mademoiselle Dangeville : Marine Chagnon; Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Musique : 4****
Scénographie : 3***
La mort de Melpomène
Adriana Lecouvreur. Coproduit par San Francisco, Vienne, Barcelone et Londres, où il a été créé en 2010, déjà donné à la Bastille en 2015 (avec Angela Gheorgiu dans le rôle-titre), le spectacle patrimonial de David McVicar a été conçu pour plaire à tous et n’effaroucher personne.
Le brillant mais complexe livret d’Arturo Colautti y est illustré jusqu’à la minutie : pour une fois, on déchiffre aisément la mise en abîme et l’imbroglio lié au petit mot écrit par la Duclos, à l’Acte I, le jeu des portes dérobées de l’Acte II, la querelle liée au bracelet, au III, tandis qu’au IV Adrienne jette sans faute le bouquet empoisonné dans un poêle (qui ne déparerait pas le finale de La Bohème). Il ne manque ni un paravent ni un éventail à la scénographie, inspirée des tableaux de Watteau, dont les décors (un peu lourds) et costumes ne pêchent certes pas par leur originalité. La direction d’acteurs, précise mais souvent mélodramatique, ne nous laissant rien ignorer des motivations des personnages, l’imagination des spectateurs n’est guère sollicitée.
Résultat : on s’ennuie un peu – d’autant que la soirée est plombée par deux longs entractes et un précipité. Mais le public, qu’ont lassé des décennies de relectures et autres regietheater, est aux anges.
La direction musicale le caresse également dans le sens du poil, ralentissant à l’approche des cadences pour s’arrêter avec complaisance sur les points d’orgue (y compris ceux qui ne sont pas écrits), tout en cherchant – et en réussissant le plus souvent – à préserver l’élan d’une partition dont c’est la pierre d’achoppement. Si les tempi nous semblent bien lents à l’Acte IV, et si la licence accordée aux têtes d’affiche nous agace, on ne peut s’empêcher d’admirer la finesse avec laquelle est guidé le puissant Orchestre de l’Opéra – notamment lors de la réception chez la Princesse, où ballet et conversation s’entrelacent avec une parfaite lisibilité. D’autant que la chorégraphie se pare d’un humour de bon aloi et que les éclats du fracassant «Il russo Mèncikoff » se voient subtilement dosés. Motivé, l’Orchestre nous enivre de capiteuses sonorités, même si (lors de la première) violons et flûte avaient encore à travailler les traits rapides. Quant au chœur, sous-employé dans cette œuvre, il reste exemplaire.
Michonnet est le premier des protagonistes à se présenter : après un début hésitant (dans un rôle qui demande beaucoup de liberté dans le parlar cantando), Ambrogio Maestri le campe avec l’idoine mélange de bonhommie et de sensibilité, assorti d’une voix aussi solide que chaleureuse. Côté comprimari, le quatuor de comédiens de la Comédie-Française, sans révéler de personnalité marquante, s’avère équilibré, le Prince de Bouillon de Sava Vemic, sonore et raide, se faisant davantage remarquer que l’Abbé de Leonardo Cortellazzi, à la caractérisation trop timide.
Ekaterina Semenchuk se chauffe peu à peu. Si elle fait surtout valoir son grave d’airain dans l’air qui ouvre l’Acte II, elle donne le meilleur d’elle-même lors des confrontations qui suivent : tigresse face à sa rivale, elle s’avère idéalement manipulatrice face à son bien-aimé Maurizio. Dans ce dernier rôle, Yusif Eyvazov (monsieur Netrebko à la ville) a-t-il été imposé ou du moins suggéré par vedette d’épouse ? Toujours est-il qu’avec son timbre aigre et nasal, son chant claironnant, sans nuances, il constitue l’unique faiblesse de la distribution. Accordons-lui une réelle vaillance, dans une partie qui ne se prête que trop à l’excès de décibels, et admettons qu’il phrase avec art « L’anima ho stanca » – seul de ses airs à être véritablement applaudi d’un auditoire pourtant bien disposé.
Ambrogio Maestri le campe avec l’idoine mélange de bonhommie et de sensibilité, assorti d’une voix aussi solide que chaleureuse. Côté comprimari, le quatuor de comédiens de la Comédie-Française, sans imposer de personnalité marquante, s’avère équilibré, le Prince de Bouillon de Sava Vemic, sonore et raide, s’imposant davantage que l’Abbé de Leonardo Cortellazzi, à la caractérisation trop timide.
Ekaterina Semenchuk se chauffe peu à peu. Si elle fait surtout valoir son grave d’airain dans l’air qui ouvre l’Acte II, elle donne le meilleur d’elle-même lors des confrontations qui suivent : tigresse face à sa rivale, elle s’avère idéalement manipulatrice face à son bien-aimé Maurizio. Dans ce dernier rôle, Yusif Eyvazov (monsieur Netrebko à la ville) a-t-il été imposé ou du moins suggéré par vedette d’épouse ? Toujours est-il qu’avec son timbre aigre et nasal, son chant claironnant, sans nuances, il constitue l’unique faiblesse de la distribution. Accordons-lui une réelle vaillance, dans une partie qui ne se prête que trop à l’excès de décibels, et admettons qu’il phrase avec art « L’anima ho stanca » – seul de ses airs à être véritablement applaudi d’un auditoire pourtant bien disposé.
Le même auditoire fera une ovation à la prima donna, dont la voix pulpeuse, dès ses premiers mots, prend possession de l’ample salle. La fréquentation de rôles lourds (merci Lady Macbeth) a donné à Anna Netrebko l’habitude d’appuyer fortement le grave, poitrinant à l’excès (comme sa consoeur Semenchuk), ce qui met en péril le médium : ainsi, chaque début de scène (à l’Acte IV !) apparaît-il un peu flottant, côté justesse, et cela vaut pour l’attaque des airs (« Ecco, respiro appena… » poussif). Mais que la chanteuse aborde la voix de tête et son chant prend son envol, tel un cygne majestueux qui cesse de patiner : le phrasé, langoureux, infini, se libère, les notes filées s’épandent, les couleurs chatoient – les frissons courent ! Ajoutons que l’interprète, qui ne triche à aucun moment, sait varier ses effets, projetant avec clarté le sprechgesang de Phèdre, trouvant pour « No la mia fronte » des teintes lunaires, morbides et, pour ses derniers mots un phrasé haché, un au-delà du chant. C’est sans doute à de tels détails que l’on reconnaît l’essence des vraies divas : la générosité.
Tant que la Netrebko chantera nous trouverons à ses côtés son mari Yusiv Eyvazov.Il sera probablement encore capable de chanter plus longtemps qu’elle puisqu’elle prend des risques énormes en chantant des rôles qui nuiront inévitablement à ses capacités vocales. Elle se trouve actuellement en une phase de transition vocale qui lui permet encore d’enthousiasmer le public. Mais les efforts déjà soutenus dans des rôles tel que Lady Macbeth laissent déjà des traces dans sa ligne de chant.Si elle continue sur ce chemin, voulant TOUT chanter, son chant se dégradera de plus en plus et un vrai retour a ses anciennes… Lire la suite »