Rigoletto à l’opera Bastille

Rigoletto à l’Opera Bastille

 

L’Opera Bastille reprend depuis le premier décembre dernier le Rigoletto de Verdi dans la mise en scène de Claus Guth, après l’avoir monté aux printemps 2016 et 20217 et à l’automne 2021. Opera pivot dans l’évolution du compositeur avec le Trouvère et la Traviata, Rigoletto souligne le caractère shakespearien et le fond républicain du compositeur.

Rigoletto à l'Opera Bastille
Rigoletto 24-25 ©Benoîte Fanton - OnP

XIX° siècle et XX° siècle

Le metteur en scène allemand choisit d’accompagner le drame d’un Rigoletto devenu clochard. Ce personnage supplémentaire, muet et grimé, incarné par le comédien Henri Bernard Guizirian ouvre l’opéra en sortant de son carton les reliques de son ancienne vie – sa corole d’Auguste, la robe tachée de sang de Gilda – faisant ainsi du drame un retour en arrière.  Il l’accompagne ainsi triste, perdu dans sa mémoire, impuissant à changer la tragédie et affligé d’une violente douleur. Cette brève scène initiale présente aux spectateurs les trois éléments fondamentaux de la mise en scène. D’abord le carton. L’opéra est entièrement joué dans un décor en carton rappelant la boite aux trésors. Le maquillage ensuite, qui se décline en masques et en costumes. Ce motif introduit ainsi les thématiques du double, du moi social, du moi réel et du jeu. Le bal du premier acte se joue dans des costumes du XIX° siècle alors que le reste de l’opéra se déroule au XX° siècle. Rigoletto est doublé deux fois, une fois avec l’acteur silencieux, et avec Sparafucile, assassin auquel il s’identifie. Gilda est elle-même démultipliée par des jeunes danseuses. Le Duc, lui, est un Janus trompeur, charmeur avec Gilda pour obtenir ses faveurs pervers digne du Don Juan de Mozart avec ses valets et amis. Les décors peuvent aussi de dédoubler parfois. La rencontre avec Sparafucile montre deux pièces semblables, la seconde séparée par un rideau en velours bleu roi de la première. La mise en scène présente ainsi un univers de faux semblants qui piège Rigoletto et son innocente fille. Mais elle surligne à l’excès ses effets par les projections au-dessus de la scène. La rencontre entre Rigoletto et Sparafucile insiste même sur leur similarité comme en miroir. Cette insistance scénique gâche l’émotion comme la projection d’un couteau dans l’auberge du tueur à gage ou la jeune enfant courant dans les champs durant l’évocation du passé de Rigoletto. Mais c’est surtout le dernier acte qui est gâté par les girls du Moulin rouge en petites tenues pailletées, entourant une Maddalena en corset et collant noir de meneuse de revue.
Rigolettoà l'Opera Bastille
Rigoletto 24-25 ©Benoîte Fanton - OnP

Distribution d’excellente qualité

Vocalement la distribution est d’excellente qualité. A tout seigneur tout honneur, le Rigoletto de Roman Burdenko montre un baryton, métallique et fort, descendant volontiers vers les graves et doté d’une articulation idéale. Variant les émotions au fur et à mesure du martyre du bouffon, le baryton russe sait être moqueur au cours du bal dans un excellent « Cosi non e sempre », attentif et inquiet face à sa fille avec un touchant « Mia vita sei », combinant ces émotions face aux nobles dans son air « Si la mia figlia ! d’una tal vittoria » et sec jusqu’à la froideur en s’adressant au tueur à gage. La soprano italienne Rosa Feola des aigus fermes et solides,  exprime la sortie de l’adolescence de Gilda. Son air final « Vho inagannato … colpevole fui… » semble s’évaporer dans l’air tandis qu’elle sort de scène pour mourir. Et les duos entre la gravité du père douloureux et la fraicheur vocale de sa fille fonctionnent à merveille.
Le Duc incarné par le ténor russe Liparit Avetisyan est joueur, et charmeur jusqu’à l’écœurement. Sa voix prolongeant le belcanto et Donizetti pour un personnage à la Don Giovanni sait aussi bien valser dans « la Dona e mobile » que frôler le sérieux dans le A tutto il ciel pour revenir à son immaturité naturelle.
Si le choix des chanteurs principaux est judicieux, celui des interprètes pour les rôles secondaires ne l’est pas moins. La basse géorgienne Goderdzi Janelidze en Sparafucile montre une voix ferme et puissante. Et si la mezzo française Aude Extrémo en Maddalaena manque initialement de projection, elle ne tarde pas à se rattraper dans le dialogue avec son frère.
Rigoletto à l'Opera Bastille
Rigoletto 24-25 ©Benoîte Fanton - OnP
Les rôles tertiaires comme Florent Mbia en Marullo, que l’opéra de Paris devrait mieux utiliser, et la mezzo française Marine Chagnon en Giovanna, montrent aussi de belles qualités vocales de rondeur et de legato. Et les chœurs sont très réussis dans leur cohésion grâce au travail du maitre de chœur Alessandro Di Stefano.
Il était cependant regrettable que le chef helvético-vénézuélien Domingo Hindoyan n’insuffle pas plus de force à l’orchestre : ce défaut occasionne un manque de liaisons musicales entre les scènes et fait du flux orchestral une sorte de musique de fond, alors qu’il peut être, ainsi que Kubelick ou Serafin l’ont montré, un personnage également.
Une très belle soirée en somme, grâce surtout à la qualité des interprètes et, malgré ses insistances à la mise en scène.

Andreas Rey

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Andreas Rey

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I am a opera critic since 4 years. I love opera since I heard Zauberflöte and Callas as a child.

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