Nabucco au Capitole

Nabucco au Capitole

Toulouse

Un hymne à la résilience, spectaculaire mais inutilement chargé

Direction musicale Giacomo Sagripanti, Mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie Stefano Poda, Collaboration artistique Paolo Giani. Nabucco Gezim Myshketa, Abigaille Yolanda Auyanet, Ismaele,  Jean-François Borras, Zaccaria Nicolas Courjal, Fenena Irina Sherazadishvili,  Le Grand Prêtre Blaise Malaba, Anna Cristina Giannelli, Abdallo Emmanuel Hasler.
Orchestre national du Capitole, Chœur de l’Opéra national du Capitole.
Coproduction avec l’Opéra de Lausanne (2024).

Musique 3***
Mise en scène 3***

Nabucco
Qu’est-ce que Nabucco ? Quel sens peut prendre aujourd’hui l’opéra de Verdi ? Deux puissances s’opposent, deux religions incarnées par deux hommes. D’un côté, les Babyloniens entrainés dans une guerre par Nabuchodonosor, roi mentionné dans la Bible comme celui qui a détruit le Temple de Salomon à Jérusalem. De l’autre, Zaccaria, grand prêtre des Hébreux, qui les console et ravive l’espoir de la liberté. L’opéra de Verdi plonge le spectateur au violent milieu de cet antagonisme, au moment précis où les troupes de Nabucco envahissent la ville sainte.

Uniformes militaires et fusils mitrailleurs
Un conflit religieux au Proche-Orient ? Voilà qui inciterait trop de metteurs en scène contemporains à nous proposer une actualisation avec force uniformes militaires et fusils mitrailleurs. Ce serait mal connaitre Stefano Poda qui crée un spectacle conforme à sa recherche esthétique et à sa réflexion humaniste. Après deux visions renouvelées et splendides d’Ariane et Barbe-Bleue (Dukas), puis de Rusalka (Dvorak), sur la même scène toulousaine, le metteur en scène italien offre du premier vrai succès de Verdi (1842) une conception très construite, élaborée, colorée, mais par trop agitée.

La célébrité du chœur « Va piensero », lamento des exilés et chant d’espoir d’un peuple opprimé, a fait de Nabucco un hymne à la liberté, toujours d’actualité. Et l’immense et superbe aile blanche – couleur associée ici aux Hébreux – oriente notre perception vers cette dimension universelle. L’aile déployée qui orne de nombreuses statues et bas-reliefs babyloniens par un renversement esthétique astucieux manifeste in fine la lutte pour la liberté de chacun sur une terre réconciliée.

crédit photo  : Mirco Magliocca
Nabucco au Capitole
Nabucco au Capitole. Toulouse. 2024.

Mais la lecture du livret que propose Poda va plus loin. La jalousie d’Abigaille fille bâtarde de Nabucco, à l’égard de sa sœur Fenena – elles aiment le même homme le juif Ismaele – sa soif de pouvoir qui la conduit à emprisonner son père et à s’emparer de la couronne se transformeront à la toute fin du drame en conversion à la religion d’abord honnie. Tout comme Fenena, tout comme Nabucco, tous deux frappés par la grâce divine. Cette rédemption, cette contagion des conversions (trois consécutives en un seul opéra) d’une part, la victoire des Hébreux d’autre part peuvent se lire comme la consécration des forces de l’esprit sur les pulsions mortifères de vengeance, sur les douleurs, sur la déréliction. Cela se nomme la résilience dont Poda célèbre l’avènement dans une mise en scène tout en contrastes où alternent, se mélangent, se divisent le rouge et le noir vs le blanc virginal. Tout de pureté candide vêtus, les chœurs des Hébreux passeront de la colère et de la douleur, à la ferveur et à la reconnaissance. L’antithèse plastiquement réussie a un sens symbolique limpide : elle figure l’opposition entre l’oppression, la tyrannie, l’intolérance d’un côté et de l’autre la foi, l’espérance et le pardon. Ainsi la dimension politique – que symbolise une immense mappemonde où s’affichent les continents dans leur puissance écarlate – et les orgueilleux combats pour la domination du monde sont-ils dépassés, sublimés par un message humaniste de paix, de liberté et de recherche collective de sérénité malgré les drames.

Recherche de sens
Les costumes, les éclairages, le jeu des décors qui évoquent les deux patries opposées, les  » accessoires  » (un immense pendule, la mappemonde, une statue de femme allongée, l’aile, le cercle de roseaux) participent de ce grand combat et de l’espérance finale. Hélas ! Poda qu’on a connu plus sobre multiplie les interventions de quinze danseurs : avec force mimiques et acrobaties, techniquement très affutées, ils parcourent la scène en tous sens, rythment la musique, agressent ou empêchent les personnages, les emprisonnent, les soulèvent. On se perd à chercher du sens au détriment de l’action et surtout de la musique, parfois totalement parasitée. Nous avons entendu peu de spectateurs convaincus par ce parti pris qui peut déboucher sur beaux effets (les pyramides humaines, l’élévation de Nabucco et d’Abigaille) , mais à la longue distrait et fatigue.

Grand vainqueur à l’applaudimètre, le Chœur du Capitole préparé avec maestria par Gabriel Bourgoin, présent sur scène à tous les moments du drame, exprime avec la même conviction et la même homogénéité ferveur et colère, piété et douleur. Personnage à part entière, il bénéficie de costumes seyants, élégants, intemporels et d’une direction scénique fluide et chorégraphiée avec soin.

crédit photo  : Mirco Magliocca
Nabucco au Capitole
Nabucco au Capitole. Toulouse. 2024.

Que manque-t-il à l’interprétation vocale pour provoquer l’enthousiasme ? Peut-être une certaine noirceur, un investissement théâtral, une énergie indispensable pour chanter Verdi. Qu’on ne se méprenne pas ! L’ensemble est digne, très professionnel et comblerait ailleurs. Au Capitole, nous sommes habitués à plus. Le Nabucco du baryton albanais Gezim Myshketa parait, en ces temps automnaux, souffrir de petits problèmes vocaux. Il sait toucher dans son délire douloureux. La superbe prière de l’acte III « Dio di Giuda », reconnaissance du Dieu des Juif s’avère pleine de lyrisme religieux et de piété. Mais on cherche vainement le Roi barbare ou le Roi fou. Yolanda Auvanet en Abigaille sait imposer une présence. Mais pourquoi l’affubler d’un grand fouet au I, dont manifestement elle se sert mollement. Loin d’inquiéter, elle prête à sourire. La soprano espagnole qui peut chanter Norma, la Leonora du Trouvère, Anna Bolena ou Dona Anna de Mozart a de l’abattage, une présence vocale. Elle affronte crânement les difficultés du rôle et son terrible ambitus. Mais elle convainc plus dans le registre lyrique que dans les imprécations.  N’est-ce pas un rôle et un format impossibles ? On ne présente plus Nicolas Courjal. La basse française construit un grand prêtre qui allie la majesté, la piété et l’ardeur. Chef religieux et chef de guerre, il galvanise ses troupes par une énergie et l’ampleur d’une belle voix à l’aise dans tous les registres, même les plus périlleux. Jean-François Borras en Ismaele c’est presque du luxe : le rôle est en effet bien modeste pour le ténor français qui singulièrement dans les ensembles fait triompher sa flamme. La Fenena d’Irina Sherazadishvili déploie une belle ligne de chant, notamment lors de sa prière finale.

L’orchestre du Capitole à son meilleur bénéficie de la connaissance intime du grand répertoire italien de Giacomo Sagripanti. Du souffle, du punch, de la vigueur et un sens mélodique, voilà un Verdi comme on l’aime.

Une représentation de qualité qui ne comble pas toutes nos attentes, mais ravit un public enthousiaste aux saluts.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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Colette
Colette
1 mois il y a

Des voix sublimes, une succession de tableaux chargés de sens, une chorégraphie moderne exceptionnelle. Visiblement pas comprise par certains! Opéra à ne pas manquer !