Le Voyage dans la lune

Le Voyage dans la lune

Opéra-féérie de Jacques Offenbach

Dans l’esprit déjanté de Méliès

Opéra-féerie en 4 actes et 23 tableaux sur un livret d’Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d’après Jules Verne, adaptation d’Olivier Fredj. Création le 26 octobre 1875 au Théâtre de la Gaîté.
Victor Jacob, direction musicale. Olivier Fredj, mise en scène.  Malika Chauveau, décors et costumes. 
Marie Perbost (Le Prince Caprice), Sheva Tehoval ( Fantasia), Marie Lenormand (La reine Popotte), Florent Karrer (le roi V’lan), Carl Ghazarossian (Microscope) et Jennifer Michel, Yoann Le Lan, Thibaut Desplantes, Christophe Poncet de Solage. Nouvelle co-production Génération Opéra. Opéra de Montpellier, 15/12/2024.

Le Voyage dans la lune

La crise sanitaire avait empêché la présentation devant le public de ce Voyage dans la lune à sa création en 2020 à Montpellier. Le revoilà, pimpant et loufoque, après avoir conquis avec une double distribution, le public de dix théâtres en région. La fantaisie lyrique d’Offenbach s’inspire des deux romans de Jules Verne, De la Terre à la Lune (1865) pour le début et Au centre de la Terre (1864) pour le dénouement. Cette féerie de science-fiction connut en son temps un triomphe. Le livret est comme il se doit extravagant. Le Roi V’lan fatigué de régner laisse la couronne à son fils, le bien nommé Caprice qui la refuse. Le fougueux jeune homme, explorateur dans l’âme, n’a qu’une envie : aller sur la lune (« Papa, papa, je veux la lune »). Le grand savant Microscope, le roi et le Prince sont propulsés dans un obus lancé par un canon sur le satellite convoité (Acte I). Parvenus à destination, (« Ah ! comme cela va faire du tort aux chemins de fer »), ils découvrent le peuple des Sélénites, gouvernés par leur roi Cosmos qui, après une réaction d’effroi, les invite, à visiter son royaume. Le prince cherche à faire comprendre à la fille du roi Fantasia ce qu’est l’amour, sentiment inconnu dans ces contrées cosmiques. Mais une pomme dégustée (« La pomme, la pomme, c’est bien bon vraiment, de goûter la pomme ! Ah quel fruit charmant ! ») fait naître chez l’aimable sélénite le sentiment disparu, à la grande peur du peuple (II). L’acte III, riche en rebondissements, poursuites, marchandages divers, se termine sous une brutale tempête de neige (« Il neige, il neige ! Nous grelottons, nous grelottons ! Brrr Brrr »). Les lieux des épisodes suffisent à pressentir les aventures à venir dans le dernier acte (IV) : le clos des pommiers, la glacière, le cratère, l’intérieur du volcan, l’éruption, la pluie de cendres, le clair de terre. On imagine la multitude de décors, de « machines », d’effets spéciaux, d’inventivité scénique délirante (23 tableaux !) qui à la création émerveillèrent les Parisiens. Georges Méliès en 1902 dans son Voyage dans la lune cinématographique stupéfia tout autant. C’est son esprit qu’on retrouve dans la production actuelle.

Spectacle en permanence mobile, enjoué, créatif

Dans un tel type de spectacles, le public en veut pour ses yeux et pour ses oreilles, sinon le compte n’y est pas. Mission accomplie, d’abord grâce à l’adaptation pétillante et à la créativité dramaturgique d’Oliver Fredj et de ses complices.  Des 23 tableaux de la création, pas un ne manque. Le prodige est qu’aux 4 heures originelles, se substitue un spectacle de deux heures, condensé, parfois un peu touffu et précipité, mais en permanence mobile, enjoué, créatif. La réalisation joue avec les conventions d’un théâtre d’opérette, léger et bon enfant dont le public accepte les codes et les leurres voyants.

 

Fumigènes et éclats orchestraux

Les références à Georges Méliès abondent. La scène est un plateau de cinéma traversé par un metteur en scène agité et des techniciens loufoques qui se mêlent à l’action. Un grand obturateur fermé ou ouvert rythme l’enchaînement des scènes. Sa lentille devient la face de la lune où s’inscrit le visage enjoué et bienveillant d’Offenbach, comme dans le film du réalisateur et illusionniste français. Malika Chauveau, créatrice des décors et costumes, s’en est donné à cœur joie en imaginant habits et accessoires dans une veine satirique de bon aloi et fidèle au livret. La bien nommée Reine Popotte, plus ménagère au foyer que souveraine, porte une robe et un chapeau éponge domestique ; sa consœur Flamma voit son chef coiffé d’une lampe de chevet, une troisième sera chapeauté d’un gant de vaisselle : des femmes-objets, complétement liées au livret original et à sa dénonciation audacieuse de l’exploitation de la femme.  L’héroïne, l’irrésistible Fantasia, séduit, vêtue pour accompagner sa déploration d’une robe empire orné d’un ballon en baudruche : l’amour comme l’illustre un duo irrésistible en apesanteur n’élève-t-il pas les âmes et les cœurs ?  Caprice trépigne et rêve, nanti de blouson de cuir, bottes de sept lieues et casque d’aviateur à hélice pour figurer le jeune aventurier parcourant la Terre et l’univers. Et le Roi V’lan, prisonnier de sa couronne, subit cet encombrant carcan de fer. La scène du marché aux femmes – cela existe bien dans l’opérette d’Offenbach – emprunte aux représentations antiques de la vente des esclaves orchestrée par un bonimenteur acheteur, inspiré peut-être par tel animateur de télévision. Le ballet de la Neige marie les évolutions légères d’artistes circassiens et les apparitions malicieuses d’ours polaires et autres bonhommes de neige débonnaires. Notons les qualités acrobatiques des danseurs et leur engagement. Quant à l’éruption finale déclenche autant de fumigènes sur la scène que d’éclats orchestraux.

Dans cette débauche de trouvailles, la musique est-elle honorée ? Comme il se doit, en respectant tout l’esprit d’Offenbach. Temps de valses et de marches, madrigaux et parodies trouvent leur juste place et combinent grâce et alacrité. Victor Jacob, « Révélation chef d’orchestre » aux Victoires de la musique 2023 et « Mention Spéciale » du Concours International de Besançon 2019, sait donner du tonus, du punch et de l’élégance à une musique moins connue que bien d’autres Offenbach, mais toujours féconde, légère, spirituelle et irrespectueuse. L’irrespect, telle est l’indémodable qualité de la musique du compositeur de La Grande Duchesse, La Périchole ou Le Roi Carotte. Le pouvoir des gouvernants ? Pitoyable. Le patriarcat ? Grotesque et scandaleux ? L’asservissement des femmes ? Inqualifiable. L’intolérance ? Perverse et hélas ! omniprésente. Le génie d’Offenbach à jouer avec les noms et les titres, à désarticuler une phrase pour en multiplier la portée comique, à démonter les banalités du langage font ici encore merveille. On a connu orchestre plus onctueux que celui, valeureux, de l’Opéra de Montpellier, mais ne manquent ni la précision ni l’engagement. Le réveil du volcan donne lieu à une montée en puissance efficace et réjouissante. La distribution pétille de bien des feux. Marie Perbost, dans le rôle travesti – fréquent chez Offenbach – du Prince Caprice sait donner un charme, une jovialité à ce personnage farfelu, osons le dire « lunaire ». La Fantasia de Sheva Tehoval, gazouille ses plaintes, sa colère et son amour avec un charme exquis et une virtuosité frémissante. « Je suis nerveuse, je suis fiévreuse » parodie avec maestria les grands arias féminins de l’opéra romantique. Elle est la révélation de cette production et mérite les applaudissements nourris qui ont salué ses airs.  En Roi V’lan, Florent Karrer démontre tout autant ses qualités de chanteur que de comédien. Carl Ghazarossian , qui a chanté maints rôles chez Offenbach, prête à Microscope son expérience et son sens théâtral. Au gré de la tournée, la double distribution interchangeable a forgé un véritable esprit de troupe, dont elle a la cohésion, l’énergie, la complicité, même si toutes les voix n’ont pas la projection et l’articulation souhaitables. Hommes et femmes du Chœur savent s’approprier de petits rôles qu’ils animent prestement.

Le Chœur initial le proclame : tout cela est « charmant, amusant et renversant ». On ne saurait mieux dire. Pour un public venu en nombre et mêlant toutes les générations, ce divertissement haut en couleurs et en musique rappelle combien le grand Offenbach, servi avec goût et respecté dans sa joyeuse tendresse, demeure le parfait ambassadeur de l’art lyrique.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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