Les Brigands. La cage aux vol(eurs).
Opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, créé le 10 décembre 1869 au Théâtre des Variétés. Dix-sept représentations du 21 septembre 2024 au 12 juillet 2025, au Palais Garnier de Paris.
Direction musicale : Stefano Montanari
Mise en scène : Barrie Kosky
Falsacappa : Marcel Beekman
Fiorella : Marie Perbost
Fragoletto : Antoinette Dennefeld
Le Baron de Campotasso : Yann Beuron
Le Chef des carabiniers : Laurent Naouri
Le Prince de Mantoue : Mathias Vidal
Antonio : Sandrine Sarroche
Le Comte de Gloria-Cassis : Philippe Talbot
La Princesse de Grenade : Adriana Bignani Lesca
Pietro : Rodolphe Briand
Carmagnola : Leonardo Cortellazzi
Barbavano : Franck Leguérinel
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Scénographie 3 ***
Interprétation 4 ****
Des costumes crypto-gays
Du point de vue scénique, la soirée commence mal : dans un décor passe-partout d’appartement haussmannien copieusement tagué, l’amusant épisode de l’ermite se voit réduit à des gesticulations de drag queens. Les costumes crypto-gays des brigands sont singulièrement hideux, et on se dit que le regietheater, pour qui Elektra équivaut à Rigoletto comme à Véronique, a encore frappé ; on se dit que, non, on n’a rien contre les trans, mais qu’à force d’ « inclusion », tout finit par se ressembler, de l’ouverture des JO à une soirée au Moulin rouge. Heureusement, cela s’améliore ensuite car Barrie Kosky accepte peu à peu de nous raconter une histoire, presque identique à celle qu’il est censé nous conter. Certes, Falsacappa est désormais le sosie de Divine (l’égérie trans de John Waters), certes les dialogues ont été réécrits pour inclure des allusions à un banquier devenu chef d’état (on est chez les voleurs), aux punaises de lit, au Palais Barnier (pardon : Garnier), au wokisme et aux pannes de la RATP, mais c’est plutôt drôle, et comme les numéros chorégraphiques, du genre cabaret, sont excellemment exécutés, on se laisse entraîner. La parade des Espagnols, entre ménines et semaine sainte, s’attire une ovation, les scènes de foule sont fluides, le mélange des choristes, danseurs et figurants est parfaitement maîtrisé – le goût (berlinois) est parfois douteux mais le travail au cordeau.
Marcel Beekman : admirable projection
Ouvrage riche aux fins d’acte échevelées, Les Brigands exige une trentaine d’interprètes dont la plupart, ce soir-là, réussit la gageure de (bien) chanter tout en se pliant aux facéties voulues par Kosky. Il faut d’abord s’habituer à l’émission très nasalisée de Marcel Beekman, dont le ténor haut-perché, passé des vocalises poussives sur « vertu », se projette admirablement dans la vaste salle. Beekman se révèle en outre une vraie bête de scène (on le savait depuis sa Platée), aussi drôle qu’inquiétante, notamment lorsque son déguisement de carabinier laisse apparaître poitrine opulente et maquillage à la truelle. La véritable révélation, pour nous qui ne la connaissions pas, est cependant la mezzo Antoinette Dennefeld, au métal affirmé et au médium dense, crédible dans son rôle travesti et excellente danseuse (sa saltarelle est le premier numéro à être applaudi, à juste titre). On sera plus réservé sur la piquante Marie Perbost, dont le timbre mat passe moins bien, surtout dans le bas registre : son entrée, qui n’est pas écrite dans ses meilleures notes, tombe à plat et il faut attendre le rondeau qu’elle adresse au prince et, surtout, « Flamme claire », pour que la voix se libère. On regrette aussi que ses couplets de l’Acte II aient été remplacés par la Malagueña venue de Maître Péronilla : disparaît ainsi le peu de sentimentalisme que recelait l’ouvrage.
Erreur de casting
Côté seconds rôles, Yann Beuron et Laurent Naouri exécutent un numéro de duettistes aussi élégant qu’hilarant en ambassadeurs de Mantoue, Rodolphe Brian porte avec panache son déguisement de cuirette sado-maso et Mathias Vidal campe un prince plein de fraîcheur, entre Mastroianni et Maccione. En revanche, distribuer Gloria-Cassis à un ténor léger dépourvu de grave relève de l’erreur de casting. Les couplets du Caissier – devenu ministre du budget – reviennent à la stand-uppeuse Sandrine Sarroche qui, (trop) sonorisée, ne s’en sort pas mal. Mais, à ce choix, on perd le passage en falsetto prévu pour le créateur, le ténor Léonce (premier Pluton d’Orphée aux Enfers), qui y grimpait jusqu’au contre-Fa. Ajoutons que le monologue en alexandrins qui précède (dans lequel un certain Bruno Le Maire en prend pour son grade) mérite d’être encore répété…
Applaudissons le chœur de l’Opéra
Si les derniers rôles n’attirent guère l’attention, applaudissons une fois encore le chœur de l’Opéra, superbement investi et préparé, qui nous vaut un canon (« Soyez pitoyables ») d’anthologie. On n’attendait guère dans ce répertoire le chef Stefano Montanari, connu pour ses interprétations baroques et/ou italiennes : secondé par un orchestre en grande forme, il s’y révèle pourtant excellent, tonique, rythmiquement précis, habile à construire les vastes finales ou les crescendos, et ne rechignant pas au lyrisme pour la valse des marmitons, donnée en version intégrale.
À condition de n’être allergique ni au voguing ni aux slapsticks, courez voir ce spectacle inégal mais pétillant, qui sera repris l’été prochain.