Orphée aux Enfers

Orphée aux Enfers

Et Pluton conduit le bal, conduit le bal !


Direction musicale Chloé Dufresne Mise en scène Olivier Py Décors et costumes Pierre-André Weitz Lumières Bertrand Killy Chorégraphie Ivo Bauchiero

Orphée Cyrille Dubois, Eurydice Marie Perbost, Aristée / Pluton Mathias Vidal, Jupiter Marc Scoffoni, L’Opinion publique Adriana Bignagni Lesca, John Styx Rodolphe Briand, Diane Anaïs Constans, Vénus Marie-Laure Garnier, Junon Céline Laborie, Cupidon Julie Goussot, Mercure Enguerrand De Hys, Mars Kamil Ben Hsain Lachiri, Minerve Lucile Verbizier, Orchestre national du Capitole, Chœur et Maîtrise de l’Opéra national du Capitole, Enfants du projet DEMOS

Représentation Capitole Toulouse le 02/02/2025
Musique 4 ****
Mise en scène 4 ****

 

Orphée aux Enfers

Orphée déteste Eurydice. Eurydice hait Orphée. Tel est le postulat de départ sur lequel les librettistes d’Offenbach pour Orphée aux Enfers, Hector Crémieux et Ludovic Halévy, ont composé la réécriture du mythe antique.  Victime de la ruse amoureuse de Pluton qui veut l’emporter dans son royaume infernal, Eurydice meurt et Orphée n’est pas désespéré. Mais l’Opinion publique veille et intervient. Le héros doit jouer son rôle d’époux éploré et réclamer aux Dieux son Eurydice, car « ça ne peut pas se passer comme ça ! ». Le personnage de l’Opinion publique, trouvaille magnifique, préfigure toutes les pressions morales et médiatiques qui pèsent sur bien des vies pour se conformer à l’attente générale : « Viens, c’est l’honneur qui t’appelle ! ». Et voilà donc Orphée d’abord sur l’Olympe, pleurant la perte de son Eurydice, ensuite « aux Enfers » pour la rejoindre et la ramener. On y retrouve une héroïne qui s’ennuie malgré les souvenirs dont la gratifie John Styx, le gardien libidineux de la belle (« Quand j’étais roi de Béotie »). Car c’est ce diable de Pluton qui la retient dans son royaume où le rejoignent tous les dieux de l’Olympe en goguette. Jupiter transformé en mouche par Cupidon séduit Eurydice en un duo osé ponctué de « Z, z, z » drolatiques.  Orphée retrouvera-t-il Eurydice ? Se retournera-t-il ? Tout se terminera en galop « endiablé », ce qui semble ici logique.

 

Un insecte folâtre

Pluton sous les traits d’un berger amoureux, Jupiter en un insecte folâtre, Orphée violoneux minable et veuf très consolable, Eurydice épouse infidèle métamorphosée en Bacchante enflammée, le défilé de tous les grands dieux somnolant dans un Olympe mortel d’ennui, Diane pleurant son Actéon, Vénus arrivant de Cythère, Junon folle de jalousie, le véloce Mercure (« Rien ne l’arrête dans son vol ») et tutti quanti, quel déchainement de travestissements burlesques ! Les librettistes ont la mythologie délirante et s’amusent pour entrainer Offenbach dans une débauche d’airs plus inventifs les uns que les autres. En notre siècle où meurent les langues mortes et se flétrissent les fleurs de la culture classique, on peut se demander que signifie pour un large public français les références et les allusions qui fourmillent : Styx et le Léthé, Actéon transformé en cerf, le chien Cerbère, Cythère, les métamorphoses de Jupiter (en cygne, en taureau) et même, même Orphée en musicien. Le tourbillon du spectacle emporte tout, mais que de perte de sens et de sourire ! Adieu connivence culturelle !

Orphée aus Enfers
Orphée aus Enfers. © Mirco Magliocca.

Gageure réussie

Le délire, il faut savoir dans la fosse et sur la scène en contrôler les possibles excès. Offenbach n’est grand que lorsqu’on sait ne pas abuser de la folie et de la gaité. Olivier Py, metteur en scène magnifique (le reprise de son bouleversant Dialogue des Carmélites vient de remporter un triomphe à Paris), s’attaque à son premier opéra bouffon et réussit la gageure : allier l’intelligence, la culture, le décalage et la comédie. Il transpose le livret – tout opéra est en soi une transposition, dit-il justement – à l’époque de la création (1858). Jupiter a l’apparence auguste de Napoléon III, présidant aux plaisirs des princes et des grands bourgeois pris aux mirages du Paris du second Empire. Les Enfers (vs l’Olympe) sont un lieu de frivolités où s’engouffre toute une société venue s’encanailler. La chorégraphie colorée d’Ivo Bauchiero et les alertes danseurs accentuent le caractère fripon de ce parti pris, et moutons, abeilles, insectes, chien ou cerf, dessinent drôlement un bestiaire inventif. Le décor de l’Olympe préfigure l’Opéra Garnier (1875) – clin d’œil à la mise en scène de Carsen pour les Contes d’Hoffman ? –   et rappelle l’illustre Opéra de la Rue Peletier immortalisé par Degas.  Bref, c’est la Vie Parisienne, pleine de joie et de folie… dont il ne faut pas être dupe. Ces Enfers – cet Empire – sont un leurre qui masquent une … mascarade funèbre. Jérôme Bosch et son ironique et terrifiant Jardin des délices servent de toile de fond aux amours d’Eurydice et dès l’ouverture, un diable récurrent puis un squelette contorsionniste hantent la scène dans une danse macabre, annonciatrice du déclin de l’Empire. Quand les dieux se révoltent, conduits par Pluton, diable qui annonce ceux des Contes d’Hoffmann, ils composent le tableau vivant de Delacroix, La Liberté guidant le peuple et le drapeau tricolore parcourt les loges. On retrouve les éléments de la grammaire dramaturgique de Py et de ses habituels complices : les changements à vue, l’univers du théâtre, les tables de maquillage, la rampe des projecteurs, le motif du travestissement, le crâne et le squelette deviennent les instruments de la satire et de la dénonciation humoristique d’un pouvoir – tout le théâtre de Py fustige la toute-puissance des pouvoirs – qui ment, leurre, mystifie… pour mieux opprimer. Sous ses dehors débonnaires, Jupiter / Napoléon III s’avère un avatar loufoque de tous les tyrans de l’histoire. « Ah ! Ah ! Ah ! Ne prends plus l’air patelin / On te connait Jupin » chantent les dieux. On ne saurait mieux dire !  Mais qu’on se rassure, cette référence politique ou historique n’alourdit en rien une représentation qui file un train… d’enfer.

Orphée aus Enfers.
Orphée aus Enfers. © Mirco Magliocca.

Ténor élégant

Mathias Vidal en adorateur des abeilles qui butinent et des moutons qui bondissent, puis en Pluton affrontant Jupiter, devient le maitre du jeu de cette entreprise de démystification. On connait le styliste du chant, le ténor élégant, à l’articulation parfaite, au timbre pur, et à la vis comica éprouvée par exemple dans son Platée ou son Prince des Brigands du même Offenbach. Il est ici chef d’orchestre et des chœurs, meneur de la révolte, tourbillonnant, vibrionnant et sa performance scénique est étourdissante. On a applaudi récemment Marie Perbost en Prince Caprice dans le Voyage dans la lune du même Offenbach dont elle chantait la Fiorella des Brigands à Garnier.  En Eurydice, rôle qu’elle tenait à Lausanne dans la même production, elle distille son ennui avec un charme exquis, une voix et des vocalises flamboyantes, des exaspérations cocasses (« Je vais regretter mon mari – i ») et dans le grand duo de la mouche (« Il m’a semblé sur mon épaule entendre un doux frémissement ») un sens de la comédie subtil. Cyrille Dubois compose un personnage savoureux avec un sens de la dérision réjouissant. En musicien obnubilé par ses créations musicales, virevoltant crinière d’un blond peroxydé au vent, il est comme toujours parfait dans son interprétation vocale d’un rôle curieusement secondaire qu’il sait théâtralement rendre majeur. Le Jupiter de Marc Scoffoni juxtapose avec la même intégrité le césarisme barytonnant du despote grotesque et la drôlerie désopilante du travestissement. Ainsi l’épisode de la mouche devient le grand moment de la représentation.

Rodolphe Briand, John Styx assoiffé, trousse les couplets de « Quand j’étais roi de Béotie », égrillard, mais élégiaque.  Le Cupidon mutin de Julie Goussot, la digne Junon campée par Céline Laborit, impératrice Eugénie sacrifiée, la somptueuse Vénus de Marie-Laure Garnier, le volubile Mercure d’Enguerrand De Hys (le jeune poète nazi du formidable Voyage d’automne de Mantovani), la Diane d’Anaïs Constant et ses toniques Tontaine Tonton, et l’Opinion publique pleine d’autorité d’Adriana Bignagni Lesca complètent une distribution, chœurs compris, jubilatoire et homogène.

Orchestre du Capitole pétillant

Malgré quelques décalages ponctuels, Chloé Dufresne dirige un Orchestre du Capitole pétillant et capiteux de main de maitre, pardon ! en maitresse femme, et ça cabriole, caracole, galope, tourbillonne. Accueil débridé d’un public enthousiaste. Dans ces Enfers de théâtre, le satané Offenbach conduit un bal de tous les diables dont on sort tout guilleret.

 

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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