Les Pêcheurs de perles

Les Pêcheurs de perles à Toulouse, des Pêcheurs de rêves !


Direction musicale Victorien Vanoosten / Mise en scène et chorégraphie Thomas Lebrun/ Collaboration artistique Raphaël Cottin / Décors Antoine Fontaine / Costumes David Belugou / Lumières Patrick Méeüs

Leïla Anne-Catherine Gillet / Nadir Mathias Vidal/ Zurga Alexandre Duhamel / Nourabad Jean-Fernand Setti / Orchestre national du Capitole / Chœur de l’Opéra national du Capitole / Ballet de l’Opéra national du Capitole

Représentation du 01/10/2023
Interprétation :  5*****
Mise en scène :   4****

Comment sans trahir l’œuvre, sans être dupe de son exotisme de pacotille, en s’accommodant d’un livret bancal, comment intéresser et émerveiller un public contemporain ? D’une part, en prenant le parti de la fantaisie et du rêve, semble dire le chorégraphe français Thomas Lebrun qui signe sa deuxième mise en scène d’opéra. En respectant d’autre part les beautés subtiles de la musique de Bizet, attestent la distribution francophone réunie et le jeune chef, disciple de Barenboïm qui lui a confié un jour de2018 à Berlin la baguette pour diriger précisément l’opéra de Bizet.

On connaît l’histoire, située à Ceylan. Deux amis, Nadir et Zurga, ont éprouvé un coup de foudre pour une inconnue, prêtresse d’un dieu et qui doit rester pure. Se retrouvant après une séparation, ils seront à nouveau rivaux. La jeune femme, Leila, éprise de Nadir, reniera ses serments. Les deux amants devraient être exécutés, mais Zurga, dépassant sa jalousie et sa fureur, les délivre et périt dans les flammes de l’incendie qu’il a allumé pour retarder la vengeance du peuple furieux. Toutes ces péripéties sont bien conventionnelles, mais Bizet sait tisser une musique diaphane, colorée, suave ou dramatique, dont trois « tubes » défient le temps : la romance de Nadir, le duo entre les deux amis, et dans une moindre mesure l’air de Leila. Ils sont servis par trois chanteurs magnifiques dont la prestation a ravi le public.

Les Pêcheurs de perles
©Mirco Magliocca

En Leïla, la soprano Anne-Catherine Gillet – voix lumineuse et agile, technique maîtrisée, élégance de la ligne – impose un personnage de jeune vestale d’abord soumise aux ordres religieux, puis sensuellement épanouie, défendant in fine son amant avec une énergique passion.  Enveloppée d‘ombres et de palmes bleues, portée audacieusement par des danseurs, elle délivre le récitatif et l’air « Me voilà seule dans la nuit / Comme autrefois » tel un rêve bleu qui s’enfle de toutes les brises marines, embaume de toutes les senteurs de l’Orient, frissonne de toutes les émotions. Mathias Vidal est le ténor de charme que l’on connaît. Rompu à la tradition du chant baroque français – ses Rameau, Mondonville, Lully font référence -, il donne à Nadir la grâce, la distinction, la finesse, la virile suavité qui rendent pleinement justice à la délicatesse d’écriture de Bizet. Chacun attend évidemment sa Romance. Dans un climat de nocturne bleuté, « Je crois entendre encore » suspend le public aux lèvres du ténor qui refusant les effets choisit l’émotion, la tendresse, le murmure qui envoûtent. De Zurga, le baryton Alexandre Duhamel fait un personnage plus complexe que la tradition n’a imposé. Ainsi chanté, avec cet engagement, cette autorité, cette majesté, la variété des couleurs d’une voix toujours ample et souple, le rival malheureux de Nadir n’est plus seulement un être frustre emporté par ses passions, mais un ami sincère, meurtri, dépassant les pulsions mauvaises pour conquérir la liberté de pardonner.  Don Giovanni vigoureux, Guillaume Tell généreux, Golaud impétueux, Escamillo plein de superbe et amoureux, Alexandre Duhamel nous doit encore de beaux rôles qui attendent son incarnation, dont un Rigoletto tant espéré. Un appel est lancé aux directeurs des théâtres lyriques ! Jean-Fernand Setti en Nourabad complète avec une mâle profondeur le magnifique quatuor vocal dont on ne louera jamais assez l’excellence de la prononciation. Bravo et merci à eux.

Les Pêcheurs de perles à Toulouse
©Mirco Magliocca

A la tête d’un Orchestre national du Capitole qui a cette musique d’opéra français dans le sang – son ancien directeur Michel Plasson a enregistré naguère une version des Pêcheurs avec Barbara Hendricks qui tient tête à de plus récentes -, Victorien Vanoosten fais ses débuts dans la fosse pour un opéra qu’il retrouvera début 2024 à Berlin. Il allie amplitude du geste et vivacité, sens des nuances et force dramatique. On ne s’ennuie jamais, on admire souvent tant la palette expressive de cette interprétation s’avère variée et toujours juste.

Les choix dramaturgiques de Thomas Lebrun brillent par leur sensible beauté et leur subtile pertinence. Qui aujourd’hui, en 2023, peut croire un instant à cette histoire d’amour et de serments trahis dans un pays insulaire situé au Sud de l’Inde ? Qui peut imaginer que vivent ou que vivaient les habitants de Ceylan ? Chacun sait qu’il s’agit – musique et livret compris – d’un rêve d’Orient, d’un exotisme fantaisiste pour divertir, ouvrir l’imagination, transporter dans l’illusion apaisante. C’est ce décalage que la mise en scène donne à voir et à comprendre. Le décor magnifique d’échafaudage de bambous et de lianes tressés, la polychromie en camaïeu des saris, les masques, les voiles bleus de Leïla, l’expressionisme volontaire d’un héros (Nadir) revenu d’exploits lointains, le traitement même du personnage de Nourabad qui emprunte à des univers esthétiques multiples ( revue, grand opéra, cabaret transformiste,  coryphée de tragédie antique, ballets… ),   les danses omniprésentes, et crânement exécutées, qui parcourent tous les « genres »  ( tutus longs romantiques, pointes, pas chaloupés, galops) avec un humour qui frôle la dérision mais jamais le mépris, tout poursuit le même objectif : émerveiller sans se prendre au sérieux, cependant prendre au sérieux le livret et le personnages sans être dupe de leur vacuité et des codes qu’ils véhiculent, sourire en aimant, aimer en pleine lucidité, ne jamais mordre, ne jamais tordre, servir l’œuvre avec respect en bousculant avec esprit. Ainsi le spectacle, fastueux, s’adresse à tous les âges, et à tous les publics, sans mépriser aucun. Le succès final témoigne de la réussite esthétique et lyrique de l’entreprise.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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