La Périchole de Jacques Offenbach. Théâtre des Champs- Elysées, Paris, 20/11/2022.
Une Périchole Grand-cru classé
Marc Minkowski, direction; Les Musiciens du Louvre; Chœur de l’Opéra National de Bordeaux | direction Salvatore Caputo; Laurent Pelly, mise en scène; Marina Viotti, La Périchole; Stanislas de Barbeyrac, Piquillo; Alexandre Duhamel, Don Andrès de Ribeira; Rodolphe Briand, Le Comte Miguel de Panatellas; Lionel Lhote, Don Pedro de Hinoyosa; Chloé Briot, Guadalena / Manuelita; Alix Le Saux, Berginella / Ninetta; Eléonore Pancrazi, Mastrilla / Brambilla; Natalie Pérez, Frasquinella; Eddy Letexier, Le vieux prisonnier / Le Marquis de Tarapote; Mitesh Khatri, Le premier notaire; Jean-Philippe Fourcade, Le deuxième notaire
Musique 5*****
Mise en scène 5*****
Vous pouvez faire traduire automatiquement tout compte rendu. Il suffit de cliquer sur le bouton Translate que vous trouverez dans la barre Google au-dessus de cet article.
« Si ma parole est un peu vague,
Si tout en marchant je zigzague,
Et si mon œil est égrillard,
Il ne faut s’en étonner, car…
Je suis un peu grise,
Mais chut!
Faut pas qu’on le dise!
Chut! »
A l’opposé de l’héroïne, nous n’allons pas taire la griserie qu’a provoquée chez nous et pour tout le public cette enivrante Périchole. Depuis que sous l’égide d’Offenbach est née la collaboration entre Marc Minkowski et Laurent Pelly, que de spectacles revigorants ont conçus les deux compères, d’un Orphée des Enfers drolatique à une Grande Duchesse de Gérolstein détonante en passant par une Belle Hélène débridée ! Le metteur en scène signe aujourd’hui son 17éme Offenbach et Minkowski sa troisième Périchole, après l’avoir récemment enregistrée (2019) pour le Palazetto Bru Zane, coproducteur de celle proposée au Théâtre des Champs-Elysées.
Pour distiller l’ivresse, la direction de Marc Minkowski s’avère une merveille de légèreté, de souplesse et de vivacité. Et surtout de justesse, d’à propos. Un seul objectif, faire chanter la musique. Le choix des tempi les mieux adaptés permet à la lettre de la Périchole d’émouvoir tendrement, à l’ivresse de la jeune femme rassasiée de pétiller finement, aux espagnolades descendantes de prestement cascader, au trio de la prison de tintinnabuler en cadence.
Les cordes soupirent, les bois respirent, tout l’orchestre et la salle chavirent. C’est à la fois enlevé et chaleureux, aimable et plein d’esprit, avec du nerf et du « chien ».
Offenbach sied à Laurent Pelly. Actualisant l’action dans un Pérou de fantaisie, il construit une mécanique théâtrale parfaitement huilée. L’animation des foules et des groupes suit une chorégraphie burlesque, peuple assoiffé ou soldats en (in)action, bal chez le Vice-Roi ou trio de la cellule.
Et le plaisir se double de retrouver une auto-citation détournée de mises en scènes antérieures, comme celle fameuse de La Fille du régiment. L’ironie et la satire sont permanentes : dans le décor d’une ville où plastronne sur les murs le portrait de l’autocrate, démantelé à l’acte III, dans la galerie cocasse des cousines pimbêches, dans un final où le pardon d’Auguste imposé au tyran d’opérette ne peut effacer la déchéance du macho bafoué par l’amour. Tous les personnages sont caractérisés avec finesse, tant par leurs costumes colorés que par un jeu d’acteurs tiré au cordeau.
Marina Viotti campe une Périchole qui a aussi fière allure en chanteuse punk qu’en robe fourreau fuchsia. La voix impose ses moirures, son élégance, sa plasticité dans toutes les mélodies dont Offenbach (et Minkowski) la parent : airs de la lettre presque murmurée, de la griserie si subtile, de la prison si sensuelle. Stanislas de Barbeyrac – pour nous une révélation – fait de Piquillo un vrai personnage, pas seulement un pantin un peu benêt. Athlétique, alerte, vif, bondissant, il est drôle dans sa soûlerie sans en faire des tonnes, convaincant et digne dans la belle scène de rejet de son amour. La voix du ténor est saine, bien projetée, au timbre viril et tendre, ardente et tonique. En Vice-Roi, Alexandre Duhamel prouve une nouvelle fois l’étendue de son talent d’interprète lyrique. Nous l’avons applaudi en Guillaume Tell, en Escamillo, en Guglielmo, en Don Giovanni. Il nous épate en potentat pas très débonnaire, autoritaire et amoureux, presque prédateur et la voix incessamment chaude, profonde, puissante séduit toujours. Les trois protagonistes articulent – merci à eux et bravo – tant dans les dialogues que dans le chant une langue française toujours audible et compréhensible, sans qu’on ait recours au surtitrage. Tous les autres interprètes participent de cette fête scénique et musicale avec engagement et brio.
On nous permettra un petit bémol. Agathe Mélinand adapte toujours les dialogues, souvent avec efficacité et pertinence et l’opéra-bouffe d’Offenbach pétri de l’actualité de son temps nécessitait un désherbage. Mais pourquoi ces familiarités stylistiques, ces grossièretés lexicales qui entachent le discours ? Elles ont faillé lui coûter une étoile dans nos appréciations, ce dont elle n’a rien à faire (elle aurait écrit autre chose !). Mais les autres acteurs de cette Périchole grisante n’ont pas à pâtir de notre réprobation ponctuelle et d’un mouvement d’humeur justifié, mais secondaire.
Aux saluts, un public heureux communie dans une joie sans mélange. La rue Montaigne et les Champs-Elysées sont festivement illuminés. C’est déjà Noël.