Lakmé au théâtre nô

LAKMÉ

Lakmé. Opéra-comique en trois actes de Léo Delibes, livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille, créé le 14 avril 1883 à l’Opéra comique.
Six représentations du 28 septembre au 8 octobre 2022, à l’Opéra comique.

Direction musicale : Raphaël Pichon; Mise en scène : Laurent Pelly; Décors : Camille Dugas; Lumières : Joël Adam; Lakmé : Sabine Devieilhe; Gérald : Frédéric Antoun; Nilakantha : Stéphane Degout; Mallika : Ambroisine Bré; Frédéric : Philippe Estèphe; Ellen : Elisabeth Boudreault; Rose : Marielou Jacquard; Mistress Benson : Mireille Delunsch; Hadji : François RougierChœur et Orchestre Pygmalion 

Musique : 4*
Scénographie : 3*

Diffusion en direct sur Arte Concert le 6 octobre à 20h
Diffusion sur France Musique le 22 octobre 2022 à 20h
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L’affiche promettait beaucoup et, dans l’ensemble – inutile de faire durer le suspense –, les promesses ont été tenues. Les trois chanteurs principaux ainsi que le chef font partie des interprètes actuellement les plus appréciés dans la musique française (et du public de l’Opéra comique), même si leurs noms apparaissent plus spontanément associés au répertoire baroque. En outre, Sabine Devieilhe et Frédéric Antoun avaient déjà été applaudis dans les mêmes rôles, sur la même scène, en 2014 (dans la version avec récitatifs de l’œuvre : c’est celle, originale, avec dialogues parlés – écourtés – qui est donnée cette année).

Le temps n’a pas passé sur la voix de la soprano : elle paraît même encore plus fraîche qu’autrefois, avec un passage vers le bas registre plus rond et naturel. L’aigu reste aussi radieux (un peu haut néanmoins, dans les contre-notes) et le pianissimo, irrésistiblement iridescent, à la fin de « Blanche Dourga » et de « Sous le ciel tout étoilé », possède une vibration unique.

Lakmé
Sabine Devieilhe (Lakmé) ©S. Drion

Avec son visage et son corps menus, son jeu vif et ses expressions candides, Devieilhe compose une Lakmé confiante, très éloignée de celle, plus lunaire, de sa prédécesseuse Natalie Dessay (en 1995, toujours à l’Opéra comique) : aucune prémonition tragique n’entache « Pourquoi dans les grands bois ? », ce qui ne l’empêche pas de faire de l’air des clochettes, délicieusement varié, un cruel moment de solitude (précédé d’un très long silence, la légende est attaquée en l’absence de tout spectateur).

Le cas d’Antoun est différent : la voix, ici, a vieilli. Autrefois solaire, elle s’est ternie et engorgée, le haut médium apparaissant particulièrement malaisé (« Ah viens dans la forêt profonde », qui tombe dans ses plus mauvaises notes, l’éprouve à l’évidence). En outre, le ténor se refuse à tout usage de la voix mixte, du falsetto ou même de l’allègement. Si ce parti-pris de chanter « en force », qui rompt avec une certaine tradition (celle d’un Charles Burles ou d’un Libero de Luca), déstabilise d’abord, il sert finalement la caractérisation du personnage, non plus sigisbée fadasse mais fruste soldat, non plus envoûté mais violenté par l’amour.

Lakmé au théâtre nô
Sabine Devieilhe (Lakmé), Frédéric Antoun (Gérald) ©S. Drion
Lakmé
Lakmé
Mireille Delunsch (Mistress Bentson), chœur Pygmalion ©S. Drion

Pareillement, Degout, avec son timbre désormais assez clair, très peu couvert, va à l’encontre de l’image patriarcale attendue ici : « Lakmé, ton doux regard se voile » somptueusement phrasé, d’une chaleur communicative, appartient davantage à un amant qu’à un père et ses puissants appels à la vengeance eux-mêmes sonnent plus pathétiques qu’implacables. Le reste de la distribution n’engendre que des louanges : Frédéric et Ellen sains, pleins de verve, Mallika charnue (mais dont l’émission gagnerait à être centrée), Mistress Benson de luxe – mention spéciale au bouleversant Hadji de François Rougier qui, en une scène, conquiert la salle.

Dès les premiers accords de l’ouverture, la direction de Pichon se veut dramatique, coupante, décapée de la moindre mièvrerie. Servi par un orchestre à la réelle personnalité (bois astringents et cordes purement divines, des extatiques violons aux langoureux violoncelles), le chef accuse le lyrisme de l’œuvre (les duos d’amour, soutenus avec flamme) et son pathos, sacrifiant de façon peut-être trop drastique sa légèreté fin de siècle (le quintette du premier acte pourrait être plus pétillant). Merveilleux apport du chœur, lisible, puissant, capable d’impressionnants effets dynamiques, d’une terrifiante férocité dans le finale du second acte.

Lakmé
Sabine Devieilhe (Lakmé), Frédéric Antoun (Gérald), chœur Pygmalion ©S. Drion

Cette lecture assez noire va de pair avec une scénographie dépouillée, presque ascétique, qui regarde davantage vers le Japon que vers l’Inde, tout en évacuant l’exotisme. Le beau dispositif du premier acte semble fait de panneaux en papier de riz, qui glissent à la façon d’un objectif photographique pour cadrer les protagonistes. Au second acte, un labyrinthe mouvant de toiles claires laisse passer une pauvre carriole sur laquelle est exhibée Lakmé, avant qu’un petit théâtre d’ombres ne mime la légende des parias. À l’Acte III, la présence constante du chœur, assis des deux côtés de la scène, sert à distancier le sacrifice de l’héroïne, d’une façon un peu trop conceptuelle (le même reproche peut être fait à la cage du premier acte). Le jeu sur le noir (réservé aux Européens) et le blanc (pour les Indiens, souvent maquillés façon théâtre nô), la direction d’acteurs sobre mais fluide évoquent des modèles cinématographiques. Pas de falbalas, donc, peu d’échappées hédonistes (le ballet, contrairement à ce qu’annonce le programme, a été coupé), mais une tension constante qui, magistralement assumée, renouvelle l’approche d’une partition souvent jugée désuète.

Olivier Rouvière

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Olivier Rouvière

REVIEWER

Diplômé en Histoire de l’Art et docteur en Lettres, Olivier Rouvière est journaliste musical, spécialisé en dramaturgie de l’opéra. Ancien producteur délégué à France Musique. Répertoires de prédilection : baroque et slave, au sens large.

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