IDOMENEO à Aix-en-Provence  

 Mozart.  Idomeneo, re di Creta

 Festival Aix-en-Provence du 06 au 22/07/2022
Soirée du 06/07/2022 Première

Direction musicale Raphaël Pichon; Mise en scène Satoshi Miyagi; Idomeneo Michael Spyres; Idamante Anna Bonitatibus; Ilia Sabine Devieilhe; Elettra Nicole Chevalier; Arbace Linard Vrielink; Gran Sacerdote Krešimir Špicer; Voce di Nettuno Alexandros Stavrakakis; Danseuses et danseurs Sophie Blet, Idir Chatar, Apolline Di Fazio, Anaïs Michelin, Yumi Osanai; Chœur et Orchestre Pygmalion

Musique 4,5*
Mise en scène 2,5*

A Aix, Raphaël Pichon et ses interprètes humanisent une mise en scène distante

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En 1781 Mozart adapte, en adoptant un lieto fine  un livret écrit pour la tragédie en musique de Campra, Idoménée (1712). Le Dramma per musica raconte une histoire terrible. De retour de Troie, le roi Idomeneo revient en Crète, sa patrie. Pris dans une tempête, pour éviter le naufrage, il a promis à Neptune, furieux de la défaite des Troyens, de sacrifier le premier humain rencontré. Et cet homme, horreur ! est son propre fils Idamante qui ne comprend pas pourquoi son père le fuit. Ajoute au drame  une intrigue amoureuse unissant Idamante et la princesse troyenne ennemie Ilia, dont Elettra (Electre), fille d’Agamemnon, est furieusement jalouse. In fine, Idamante, à la demande du dieu apaisé, régnera sur la Crète avec Ilia. La mise en scène de Satoshi Miyagi – dont deux réalisations théâtrales, inventives et esthétiques, avaient convaincu   au Festival d’Avignon –  laisse perplexe. De somptueux kimonos habillent  les principaux personnages – à l’exception notable d’Ilia – dessinant un univers mythologique censé donner toute sa grandeur singulière au drame et à ses victimes. Ils projettent le récit dans le royaume lointain d’une épopée tragique. Mais le chœur porte l’uniforme des soldats japonais de la dernière guerre mondiale, brouillant les repères temporels sans que la raison s’impose.

Idomeneo
© Copyright - Idomeneo, Re di Creta de Wolfgang Amadeus Mozart. Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

Élément majeur de la dramaturgie, Idoméne, Ilia et Idamante, (occasionnellement Electre, trop humaine) sont juchés  en permanence sur des piédestaux portés par des colonnes. Leurs socles grillagés emprisonnent les gens du peuple qui font glisser l’édifice dans une chorégraphie savante et fluide, rapprochant, éloignant, isolant tel ou tel selon les nécessités dramatiques. Certes les éclairages, magnifiques, permettent à ce maillage de revêtir des couleurs changeantes, vertes ou jaunes, les parant de fibres végétales ou de coraux. Certes le dispositif exalte, exhausse, magnifie les héros mythologiques. Mais il interdit tout rapprochement humain, toute étreinte, tout geste d’émotion entre eux, dûment séparés, isolés. Et leur alignement – ainsi lors du quatuor fameux – apparente la représentation à une version concert en costumes figée. Paradoxe total : alors que « ça » n’arrête pas de bouger, de dessiner des figures de ballet en une savante chorégraphie, l’impression de statisme devient prégnante et confine l’émotion, portée par les seules prestations vocales et orchestrales.

Idomeneo
© Copyright - Idomeneo, Re di Creta de Wolfgang Amadeus Mozart. Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez
Lakmé
Idomeneo
© Copyright - Idomeneo, Re di Creta de Wolfgang Amadeus Mozart. Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

Idoménée chez Mozart est certes victime, mais c’est un héros énergique, affrontant le dieu, l’accusant d’injustice, le bravant. Pour l’incarner, il faut un baritenor valeureux, audacieux, puissant. Michaël Spyres excelle dans ce chant, propre à exprimer la tempête intérieure qui bouleverse son cœur de père et de roi. Grave nourri, aigus jaillissants, vaillance, colorature maîtrisée, souplesse, intériorité de l’expression,  humanité douloureuse,  subtilité des affetti, projection valent à l’interprète un succès mérité. Idamante  – rôle  écrit pour un castrat, puis confié à un ténor, ici à une mezzo –  est un personnage juvénile et ardent. Anna Bonitatibus, à la belle voix charnue et chaude, prête au jeune héros son frémissement adolescent et sa fougue fiévreuse.  Ilia c’est la tendresse, la jeunesse, l’amour, le don de soi ; c’est Pamina bien avant l’heure. Mozart lui confie trois airs caressants d’une beauté admirable et le soprano lumineux de Sabine Devieihe les sert avec la qualité de voix, de style, de limpidité sonore qu’on imagine, venant de cette grande musicienne.  Ainsi d’un « Zeffirreti lusinghieri » frémissant.

Idomeneo
© Copyright - Idomeneo, Re di Creta de Wolfgang Amadeus Mozart. Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

Mais pourquoi le dramaturge vêt-il cette héroïne tragique de ces robes blanches si fades ? Pourquoi réduit-il cet artiste si sensible au rôle d’une poupée blonde, gantée de blanc, impavide et pétrifiée ?  Elettra est un rôle terrible, d’une violence inouïe. Nicole Chevalier, hagarde, hallucinée, assure avec maestria l’explosion de haine finale, son récitatif  prodigieux d’intensité « O smanie ! O furie  ! » puis l’air furieux et les battements saccadés de la rage «  D’Oreste, d’Ajace », véritable grand air de la folie avec sa cascade de rires hystériques comme les derniers feux d’une haine jetée à la face des hommes et des dieux. C’est elle qui aux saluts remporte la palme. L’Arbace de Linard Vrielink, élégant  ténor mozartien,  le Grand Prêtre majestueux de  Krešimir Špicer complètent avec force une distribution haut de gamme. Saluons aussi les beaux chœurs des chanteurs – danseurs. Il suffit d’un exemple pour dire la qualité de direction de Raphaël Pichon : toute la fin de l’acte II, du Terzetto au chœur d’épouvante crée des climats dramatiques puissants et variés qui s’enchaînent dans une dynamique qui rend justice au génie de Mozart, dramaturge. Colère, tendresse, douleur, haine s’imposent dans les couleurs infinies de l’ensemble Pygmalion, ondulant, frissonnant, rageant, terrifiant, animé de mille pulsions, dirigé par un Raphaël Pichon souverain.  Eux, eux seuls, dans la fosse et sur la scène, parviennent à rendre émouvant un drame dont le dramaturge japonais n’a pas su traduire la vraie grandeur et la  bouleversante humanité. Aux applaudissements se sont mêlées des huées – toujours inacceptables –  à l’apparition de Satoshi Miyagi : ce double accueil, inégalement partagé, traduit à sa manière notre perplexité.

Le spectacle sera diffusé le 11 juillet en direct sur France Musique à 21h30, en différé le 16 juillet sur Arte (22h35) et en libre accès sur Arte Concert

Jean Jordy
06/07/2022

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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