La Périchole de Jacques Offenbach. Théâtre des Champs- Elysées, Paris, 23/11/2022.
Les yeux et les oreilles
Version scénique et version de concert
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Ces jours-ci, au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, un spectacle réjouit absolument ses nombreux spectateurs, dont les applaudissements sont unanimes et enthousiastes – notre collègue Jean Jordy, très heureux lui aussi, en a rendu compte ici même il y a quelques jours.
Ce spectacle : La Périchole de Jacques Offenbach, dirigée par Marc Minkowski à la tête de ses Musiciens du Louvre et du Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, mise en scène par Laurent Pelly.
Cette production me semble bienvenue pour une petite réflexion que je pourrais titrer doublement : « Les yeux et les oreilles » – « Version de concert et version scénique ».
C’est que cette Périchole, je l’ai entendue – et non pas vue – en juillet 2018 au Festival Radio France Occitanie, dirigée par le même Marc Minkowski. En une « version de concert » elle aussi absolument réjouissante. Nonobstant les « voix » différentes, l’approche musicale de cette oeuvre était donc identique.
L’opéra, ce sont les oreilles et les yeux : une partition mise en scène, donnée à voir. A ce propos, j’ai une théorie : les yeux doivent ouvrir les oreilles, les yeux doivent multiplier ce que les oreilles entendent. Quand ça se passe mal : les yeux ferment les oreilles.
La Périchole de Laurent Pelly est une nouvelle merveilleuse démonstration (ce metteur en scène ne déçoit pas) de ce que peuvent apporter les yeux aux oreilles. Sa mise en scène est inventive, judicieuse, savoureuse, respectueuse. Ce que la musique d’Offenbach raconte, avec la verve, l’humour, l’allégresse, les décalages, les citations, les clins d’œil qui sont les siens, Laurent Pelly le concrétise, l’incarne, l’installe, l’anime. Il faut voir les costumes des personnages, qu’il a lui-même conçus, les coiffures dont il les affuble, les décors (ainsi les immenses miroirs). Il faut voir comment les déplacements des personnages et du choeur, leurs bondissements, leur énergie, leurs chorégraphies, sont exactement ceux des notes de la partition. Dans d’autres cas tout aussi heureux, le metteur en scène, sans trahir l’œuvre, donne à voir des réalités qui lui sont sous-jacentes ou que l’on n’avait pas encore théorisées au moment de sa composition. Il ne s’agit pas d’anachronisme, mais de la preuve que certaines grandes œuvres étaient absolument annonciatrices.
Hélas, il est d’autres mises en scène, celles de ceux/celles-là qui s’interposent entre l’oeuvre et nous, dans une pathétique volonté de s’exhiber, prêts à tout pour cela. Dans ces cas, tout aussi hélas, les yeux ferment les oreilles : je me souviens d’un Idomeneo au Festival d’Aix-en-Provence en 2009, dirigé par le même Marc Minkowski. Soudain, au milieu de l’Ouverture, je me suis rendu compte que tout occupé à regarder, à tenter de comprendre ce qui s’agitait sur le plateau, je n’écoutais plus Mozart, je n’écoutais plus la façon dont Minkowski se mettait à son service. Mes yeux avaient fermé mes oreilles !
Et c’est pourquoi j’aime beaucoup les « versions de concert » pour le beau face-à-face qu’elles permettent, qu’elles offrent : rien ne vient fermer les oreilles ! Les chanteurs sont au premier plan, à l’avant-scène, l’orchestre a quitté la fosse pour les lumières du plateau ; ils sont réunis en une belle unité sonore conjuguée. On voit vivre l’orchestre, on voit vivre la partition dans sa géographie en mouvement. Quant aux solistes, ils ne sont pas que les notes qu’ils chantent, ils les vivent, ils les expriment. Et c’est une très belle « représentation ». C’est pourquoi je me souviens de La Périchole de Montpellier, qui était d’ailleurs un peu plus qu’une « version de concert », une « mise en espace ». Comme je me souviens – et chacun de vous a sans doute aussi ses heureux souvenirs – d’une Adriana Lecouvreur à Verbier en juillet 2018, une merveilleuse fin de saison pour moi.
Ces versions de concert ont certes un autre avantage, non négligeables en ces temps difficiles, leur coût réduit et donc la part accrue qu’on peut mettre dans le choix des solistes, de préférence aux décors ou effets spéciaux. Le prochain Festival d’Aix-en-Provence proposera d’ailleurs trois soirées de ce type.
En conclusion de cette petite réflexion, je voudrais modifier un peu l’expression usuelle : « ouvrez bien vos yeux et vos oreilles ». Pour un amateur d’opéra, le bonheur existe quand ce sont ceux qui le produisent qui lui ouvrent à la fois les oreilles et les yeux !