L’Élixir d’amour
28 septembre 2012, Paris : L’amour est dans les foins
L’Élixir d’amour, « Melodramma giocoso » en deux actes de Gaetano Donizetti sur un livret de Felice Romani (d’après Eugène Scribe), créée à Milan le 12 mai 1832. Douze représentations, du 28 septembre au 9 novembre 2021, à l’Opéra de Paris-Bastille.
Adina : Sydney Mancasola ; Nemorino : Matthew Polenzani ; Belcore : Simone Del Savio ; Dulcamara : Carlo Lepore ; Giannetta : Lucrezia Drei ; Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris ; Direction musicale : Giampaolo Bisanti ; Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Musique : ***3***
Scénographie : ****4****
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L’été est fini, les frimas sont là : le moment idéal pour voir ou revoir le délicieux spectacle de Laurent Pelly, créé in loco en 2006 et qui fête déjà sa 54ème représentation. Le scénographe a transposé l’action dans l’Italie des années 60, quelque part entre Vittorio De Sica et Federico Fellini. Dans ce monde rural joliment symbolisé par le jeu des balles de foin, la modernité pointe son nez, les Vespas côtoient d’antiques tracteurs, les stations-service s’accolent aux trattorias, les paysannes cancanent sur la place du village tandis qu’on accroche des lampions aux pylônes électriques pour une fête improvisée… Le spectacle est enlevé, parsemé de jolis gags (Nemorino s’allongeant devant le vélomoteur d’Adina, Dulcamara vidant ses bidons de piquette pour faire son beurre), tout en baignant dans une douce nostalgie, représentée par ce camion qui s’éloigne dans les champs alors que le soir tombe. La direction d’acteurs est pétillante, les costumes franchement réussis (on apprécie surtout les blouses et tabliers colorés des villageoises), les décors de Chantal Thomas et les lumières de Joël Adam des plus évocateurs.
Tout au plus regrettera-t-on la longueur du changement de décor au milieu de l’Acte I, qui nous permet cependant de contempler à loisir ce rideau de scène parsemé de pubs vintage (en italien) pour l’élixir de Dulcamara, capable de guérir le mal d’amour comme les cors au pied, les angoisses infantiles comme la constipation !
La réussite du spectacle doit aussi beaucoup à l’investissement scénique des interprètes. S’ils s’avèrent tous convaincants, l’Américain Matthew Polenzani brûle particulièrement les planches, profitant de ce que L’Élixir est, avant tout, un opéra de ténor : trublion naïf et élastique, il gigote et cabotine à l’envi, avant de dessiner un désarmant Pierrot en marinière lors de sa fameuse Romance. Très percutante, l’émission paraît un peu trop ouverte et nasale, le timbre d’une couleur trop uniformément claire pour ce répertoire, ce que le chanteur dissimule derrière un art consommé des pianissimi et de la mezza voce. Américaine elle aussi, Sydney Mancasola offre pareillement une couleur de voix peu méditerranéenne qui, en début de soirée, sonne métallique.
Technique superlative
Mais la soprano affirme bientôt une technique superlative, rodée aux styles baroque et mozartien, à la virtuosité impeccable et, surtout, à la ligne de chant fort racée : si « Il mio rigor dimentica » (sans reprise) la pousse dans ses retranchements, « Prendi, per me sei libero » est un modèle de phrasé – en dépit d’un italien encore fermé. Les deux clefs de Fa, elles, sont italiennes et cela s’entend. La voix de basse de Carlo Lepore apparaît désormais usée et rêche, mais, surtout au second acte, le chanteur excelle dans le syllabisme rapide, avec une élocution preste et tranchante. Moins connu, le baryton-basse Simone Del Savio constitue une jolie découverte : le timbre est certes trop sourd et sombre pour son rôle de joli cœur, mais le chant est soigné, ciselé dans les ornements, sensuel et large dans les lignes caressantes de la cavatine « Come Paride vezzoso ».
On regrettera d’autant plus que la direction ne lui laisse pas davantage la bride sur le cou, lors de cette entrée : car ce qui manque au chef Giampaolo Bisanti, par ailleurs tonique et efficace dans les ensembles, c’est un certain sens de la morbidezza, de la langueur méridionale – pour tout dire une réelle prise en compte de l’héritage belcantiste dont la partition est pétrie. On a trop souvent l’impression qu’il dirige une opérette viennoise plutôt qu’un melodramma post-rossinien (où est passé la fièvre qui doit enflammer « Esulti pur la barbara ? »). Néanmoins, l’orchestre le suit avec brio, les bois sonnant de façon ravissante dans l’Ouverture, le cor solo pleurant avec talent dans le Finale de l’Acte I (on a été davantage déçu par le basson de la « furtiva lagrima »). Bien coachés, les Chœurs de l’Opéra parviennent à faire oublier en partie le handicap du masque : l’exquis ensemble des commères est ainsi parfaitement réussi, d’autant qu’il est mené avec panache par la pétulante Giannetta de Lucrezia Drei.
Le public (où tous les âges sont représentés) sort manifestement ravi de cette soirée, dont il a applaudi la plupart des morceaux.