LE VILLI
Le Villi de Giacomo Puccini. Opéra-ballo en deux actes. 1883. Libretto de Ferdinando Fontana, d’après la nouvelle Les Willis d’Alphonse Karr. Première représentation au Teatro Dal Verme, Milan, le 31 mai 1884.
Halle aux grains Toulouse, 05/02/2022.
Speranza Scappucci (Direction); Marie Lambert-Le Bihan (Mise en espace); Chœur du Capitole; Patrick Marie Aubert (Chef de chœur); Joyce El-Khoury (Soprano); Luciano Ganci (Ténor); Alexandre Duhamel (Baryton).
Le Villi de Puccini à Toulouse. De mort l’ardente flamme
La musica freme e delira. La musique frémit et délire.
La danza sospinge ed incalza! La danse presse et harcèle!
Musique : 5*
Scène : 4*
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Vous connaissez l’histoire du ballet d’Adolphe Adam Gisèle ! Vous savez donc ce que sont les Villi qui donnent leur titre au premier opéra de Puccini : âgé de 26 ans, il le compose en 1886 en quatre mois. Le poète Henri Heine présente ces bacchantes funestes : « Les willis sont des fiancées qui sont mortes avant le jour des noces, pauvres jeunes filles qui ne peuvent pas rester tranquilles dans la tombe. […] A minuit, elles se lèvent, se rassemblent en troupes sur la grande route, et, malheur au jeune homme qui les rencontre ! Il faut qu’il danse avec elles ; elles l’enlacent avec un désir effréné, et il danse avec elles jusqu’à ce qu’il tombe mort. » (De l’Allemagne, 1835). A partir de cette légende populaire d’origine slave et d’une nouvelle d’Alphonse Karr, Ferdinando Fontana écrit un livret que Puccini sait embraser. Un enregistrement avec Scotto, Domingo et Léo Nucci (Tito Gobbi en narrateur ! ) dirigés par Maazel a mieux fait connaître en son temps (1979) cette œuvre brève (70 minutes ) rarement représentée. Anna (soprano), fille du riche Guglielmo (baryton) se fiance à Roberto (ténor). Mais le jeune homme doit partir pour régler une affaire d’héritage et laisse une amante troublée par de sombres présages. Un récitant résume les événements qui séparent les deux actes. Roberto a oublié sa fiancée dans les bras d’une « sirène » et la jeune fille est morte de chagrin. Roberto à son tour abandonné rentre au pays ignorant le sort tragique d’Anna. Le fantôme de la fiancée apparaît et lui reproche sa trahison. Les Villi que Gugliemo a invoqués entraînent dans leur danse l’infidèle à la fin terrassé.
La version concert de Toulouse redonne vie à cet opéra injustement oublié. L’orchestre national du Capitole amplement déployé dans l’arène de la salle s’avère somptueux sous la baguette, pleine de fièvre et d’intensité de Speranza Scapucci. Son Puccini électrique sonne, mélodiste reconnaissable entre tous, ardent, fougueux, travaillant une pâte orchestrale chatoyante et toujours chantante. Les interludes orchestraux (le cortège funèbre d’Anna, si recueillie, la danse infernale des Villi zébrée d’éclairs) font vibrer les pupitres qu’enflamme l’énergie d’une Scapucci vif argent, alerte, tranchante, soucieuse moins d’effets que de beauté sonore. Les magnifiques chœurs du Capitole n’ont rien à envier aux meilleurs. Montagnards, cortège funèbre ou fantômes, ils distillent, malgré les masques sanitaires, leur riche harmonie avec précision et engagement.
Joyce El-Khoury et Luciano Ganci
La soirée applaudie avec enthousiasme nous offre la chance d’entendre pour la première fois Joyce El-Khoury, soprano libano-canadienne, et le ténor italien Luciano Ganci. Timbre lumineux pour elle, pianissimi angéliques, ligne de chant stylée, son Anna, tendre et digne, impose sa belle présence. Bien qu’éloignée par la mise en scène, elle porte avec émotion son grand air «Se come voi piccina » dont la fraîcheur florale s’ombre d’inquiétude. La scène finale corse sa voix vengeresse sans qu’elle perde en pureté. Le cri qui l’ouvre (« Roberto »), semble venir de l’au delà. Lui, ardent, généreux, délivre un chant soigné, maîtrisé, avec dans le timbre un soleil propre à dissiper les brumes du fantastique. Le second acte si tendu le trouve à l’aise de bout en bout. «Torna ai felici di » fait rayonner le passé enfui, assombrit le douloureux présent avec une rare sûreté de ligne et de goût. D’Alexandre Duhamel, on connaît et on aime les Golaud, Escamillo et Zurga. On espère son Rigoletto, auquel ce rôle semble le préparer. Dans celui bref mais intense d’un autre père vengeur, la voix noble, généreuse et élégante du baryton français fait merveille, sobre et d’autant plus émouvante. L’invocation « Anima santa della figlia mia » est celle d’un tragédien accompli.
Délires théâtraux
Marie Lambert-Le Bihan élabore avec finesse une mise en espace qui refuse une représentation romantique des fantômes vengeurs. Parfois le placement et la déambulation des chanteurs égarent un peu les voix : la topographie et l’acoustique de la salle réservent bien des embûches. Mais la dramaturge sait éclairer des climats, concevoir des images : le halo de lumière que suit le père accablé, la danse lente et la tension des derniers instants sont de vrais moments d’émotion. Les versions concerts ainsi subtilement présentées supplantent sans difficulté certains délires théâtraux.
Jean Jordy
05/02/2022