Mefistofele de Boito à Toulouse : Le public est aux anges
Opéra en 4 actes avec prologue et épilogue. Livret du compositeur. Deuxième version, créée le 4 octobre 1875 au Teatro Comunale de Bologne.
Direction musicale Francesco Angelico / Mise en scène Jean-Louis Grinda / Mefistofele Nicolas Courjal / Faust Jean-François Borras / Margherita Chiara Isotton / Elena Béatrice Uria-Monzon / Wagner / Nereo Andres Sulbaran / Marta / Pantalis Marie-Ange Todorovitch / Orchestre national du Capitole / Chœur et Maîtrise de l’Opéra national du Capitole / Chef du Chœur Gabriel Bourgoin (Production de l’Opéra de Monte-Carlo)
Musique 4****
Mise en scène 4****
C’est beau un bel opéra au premier degré quand il est servi par une mise en scène intelligente et inventive et une distribution sans faille, dans une salle idéale pour en apprécier les beautés visuelles et musicales !
L’opéra de Boito est rarement joué, trop difficile sans doute à appréhender dans sa diversité, dans son hétérogénéité. On sait que le compositeur librettiste – qui a offert à Verdi le texte de ses adaptations shakespeariennes d’Otello et Falstaff – a d’abord conçu et composé le projet de construire un opéra embrassant les deux Faust de Goethe. Devant l’échec de la création de cet ensemble monumental (5h) à la Scala en 1868, Boito élague, remanie, défait, reconstruit pour livrer en 1875 à Bologne la version que nous connaissons aujourd’hui. Même ainsi recomposé, Mefistofele qui a pris pour titre le nom du principal protagoniste, déroute par sa complexité, son caractère hybride, son étrangeté un peu barbare. L’action suit cependant celle bien connue du mythe. Méphisto parie avec Dieu qu’il peut corrompre le savant Faust et lui ravir son âme. Faust accepte un étrange pacte : dès qu’il pourra dire à un instant de bonheur suprême « Arrêt-toi, tu es si beau ! », il suivra le Diable aux enfers. Ni l’amour avec une humble humaine (Marguerite) ni celui avec une reine, celle de Sparte, la belle Hélène, offerts par Méphisto, ne combleront ses désirs d’absolu. Seul, in fine, l’Evangile et la foi lui permettent l’extase suprême. Méphisto est vaincu.
L’immense mérite de la conception dramaturgique de Jean Louis Grinda, actuel directeur des Chorégies d’Orange, où son Mefistofele créé à Liège en 2007 a été donné dès 2018, tient à son respect absolu de l’œuvre, doublé d’une réelle admiration pour la partition de Boito. Quand on aime, on ne chipote pas, on ne biaise pas, on se donne complètement. Et sa mise en scène donne à voir. Le dispositif est simple et diablement (!) efficace. Un hémisphère vierge en fond de scène sera l’écran où se projettent les vidéos composées par Arnaud Pottier : des nuées figurent le Ciel du Prologue ; un arbre au feuillages fourni frémira dans le jardin de Marguerite que balaiera, en prédiction de la fin de l’idylle, un vent d’orage mauvais ; le paysage d’un fleuve, d’un temple grec abritera les amours de Faust et d’Hélène. Des lumières signifiantes, de rares accessoires (une table pour le cabinet du savant, une lanterne pour le cachot de l’infanticide) et des costumes bariolés magnifiques signés Buki Shiff animent l’action. Le dimanche de Pâques (acte I), La nuit de Sabbat (acte II) verront une débauche de couleurs, d’accoutrements bizarres et chatoyants. La sarabande conduite par le violon rouge du démon animant le peuple satanique de noir et de blanc vêtu crée un ballet … endiablé, plein de fièvre et d’ironie.
Les costumes grecs de l’épisode d’Hélène dans sa barque dorée empruntent à la fois au péplum italien et à la fantaisie de l’univers d’Offenbach dans ses opéras bouffes « mythologiques ». On rit aux facéties de Méphisto ; on frémit dans l’acte du cachot devant la détresse de Marguerite ; on est ému par la mort de Faust ; on est emporté aux danses du Sabbat ; on est ébloui devant l’inventivité des habits. ; on aime la transformation progressive d’une rosace en ogives de cathédrale… De bout en bout, le public est entrainé dans cette fantasmagorie bigarrée.
L’interprétation réunie par le Capitole de Toulouse ne souffre d’aucun défaut. Le Méphisto de la basse française Nicolas Courjal, voix souple et sonore, feu follet persifleur, est d’abord un joueur : il parie avec Dieu, il joue de son charme et de son pouvoir de séduction ; tel le Dictateur de Chaplin, il joue au ballon monde. Et Courjal, acteur agile et subtil, conduit le bal avec maestria. Le Faust de Jean-François Borras, interprète du rôle aux Chorégies, est aussi à l’aise dans le registre héroïque que dans l’élégie (mort magistrale) ou les duos d’amour intenses. La voix éclatante ou nuancée, reste toujours élégante et harmonieuse. La soprano italienne Chiara Isotton – la seule idiomatique de cette distribution essentiellement française – est une vraie révélation. Une voix ample, puissante, charnue délivre un chant très mélodieux et surtout très émouvant, notamment dans une scène de la prison dramatique. La grande mezzo Béatrice Uria Monzon offre à Hélène son charisme, son charme, sa sensualité et l’expérience d’une technique maitrisée. Le vénézuélien Andres Sulbaran est un jeune ténor à suivre. Sa carrière promet s’il sait conserver l’élégance de la ligne, la clarté d’émission, la pureté de la voix. Marie Ange Todorovitch a de l’abattage, de l’humour et une voix profonde qui font merveille dans son double rôle. Les Chœurs et la Maitrise du Théâtre du Capitole sont comme toujours magnifiques de cohésion, d’harmonie, de puissance, de sens dramatique.
Le croira-t-on ? C’est Angelico, Francesco de prénom, qui dirige Méfistofele. Belle métaphore du triomphe du Bien et du Ciel sur la puissance du Mal ! Il vainc aisément les pièges de cette partition redoutable par sa diversité de registres, ses changements de climats, ses variations de puissance, ses accélérations. Ciel ou Enfer, aubade, Ave ou sabbat, rien ne résiste à la dynamique de sa direction.
Loin des mises en scène fumeuses et triturées, ce Mefistofele séduit par la simplicité fastueuse de sa réalisation, ses images sobrement grandioses, la clarté du propos, la puissance d’une distribution homogène, l’intégrité de l‘exécution musicale. Une ovation debout salue la prouesse. Voilà un grand opéra comme on l’aime, comme on l’aime aussi.
Voilà une critque telle qu’on aime de la lire fréquemment. Hélas n’avons nous plus souvent l’occasion de voir ni d’entendre l’opéra merveilleux et miraculeux d’ Arrigo Boito. Cela est naturellement dû à la programmation des directeurs artistiques et musicaux des théâtres du monde entier. Mefistofele est un opéra qui leur échappe, qui ne leur intéresse pas ou auquel ils ne songent simplement pas.Qui le dira? Mais combien parmis eux connaissent vraiment cet opéra et en connaissent la véritable valeur musicale et théâtrale? Probablement préfèrent-ils se limiter au Faust de Gounod estimant le Mefistofele trop éloigné du sujet tel qu’on le… Lire la suite »