Une saison française idéale
Si nous en avions la possibilité, comment composerions nous une saison lyrique en faisant un Tour de France des grandes maisons d’opéras et en parcourant 4 siècles de répertoire français ? Recensons ces belles promesses lyriques sans souci d’exhaustivité.
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Rameau et son Platée (1745) constitue la première étape de notre périple. Comédie musicale avant l’heure, avec chants et ballets, farce burlesque, fable cruelle, satire bouffonne, opéra à clés évoquant en sourdine un mariage princier, pochade mythologique dont Jupiter, Junon, Mercure et une nymphe grenouille sont les ridicules héros (« Quoi ? Quoi ? » se moque le chœur), Platée est un chef d’œuvre. Pour rendre justice à sa verve musicale, Toulouse et Paris sortent le grand jeu. Le Palais Garnier reprend (juin/juillet 2022) avec Marc Minkowks à la baguette la mise en scène mythique de Laurent Pelly avec Lawrence Brownlee dans le rôle titre au côté du Thespis de Mathias Vidal. On retrouve le ténor français, spécialiste de Rameau, chargé de chanter la grenouille cette fois dans la réalisation repoussée pour Covid et doublement attendue d’un couple de comédiens comiques Shirley et Dino sous la baguette experte en musique baroque d’Hervé Niquet. Cette production sera visible au Capitole de Toulouse (mars 2022) et à l’Opéra Royal de Versailles (fin juin 2022). Trois occasions d’applaudir Platée, Rameau et Mathias Vidal, ce n’est pas trop.
Cap sur Marseille. Rossini a 37 ans quand il dit adieu à l’opéra avec un dernier chef d’œuvre. C’est Guillaume Tell, hymne à la liberté en langue française créé à Paris le 3 août 1829. Dans une vie de mélomane combien de Guillaume Tell est-il possible de voir ? A la mi-octobre, nous courrons à Marseille savourer notre premier. Pour la mise en scène de Louis Désiré, la direction de Michele Spotti, l’Arnold vaillant d’Enea Scala, les prises de rôle d’Alexandre Duhamel en Guillaume et d’Angélique Boudeville en Mathilde. Et entendre « Asile héréditaire », non plus comme page de récital, mais dans le flux tumultueux de cet opéra épique, et l’Ouverture en prélude à l’action et non plus isolée, quelle émotion !
Bordeaux accueillera (fin septembre 2021) en version de concert mis en espace un opéra plus rare encore sur nos scènes, Robert le Diable de Meyerbeer. Il suit de deux ans (1831) le chef d’œuvre ultime de Rossini.« Si jamais la magnificence parut dans un théâtre, je doute qu’elle n’ait jamais atteint le degré de splendeur déployé dans Robert… C’est un chef-d’œuvre… Meyerbeer s’est acquis l’immortalité …» . On doit ces lignes enthousiastes à Frédéric Chopin ! Préparant un enregistrement aux bons soins du Palazzetto Bru Zane dont nous avons dit ici l’inlassable travail au service de l’opéra français, le concert aligne une distribution qui met en appétit : le magnifique ténor John Osborn, la basse toujours impressionnante d’engagement qu’est Nicolas Courjal, et la soprano Erin Morley, dont les Gilda, Zerbinette et Lakmé étincellent. Les 4H 15 (avec entracte) annoncées promettent une version (presque ? ) sans coupure.
Après les raretés, les valeurs sûres, qui ne sont pas les plus évidentes à réaliser. Les comparaisons, les souvenirs, les enregistrements imposent leurs lois et la nécessité de renouvellement artistique dans le respect des œuvres. Toulouse ose Carmen (1875), l’œuvre phare de son répertoire, sans doute la plus représentée dans la Ville Rose et attendue avec une égale fièvre. Jean Louis Grinda a signé une mise en scène efficace, dans un décor magnifique, et qui mérite cette reprise.
Là n’est pas la nouveauté et le risque. Mais les prises de rôles de deux Carmen que tout oppose, l’expérience, le tempérament, le physique, mais que réunissent la beauté de la voix et le talent. La grande Marie-Nicole Lemieux vient d’être une somptueuse Dalida aux Chorégies d’Orange et sa Cassandre a marqué tous ceux qui ont eu le bonheur d’assister aux Troyens donnés à Strasbourg et enregistrés superbement. Entendue au disque et sur scène, la jeune Eva Zaïcik, nous tenons le pari, sera bien tôt une grande, une très grande et Toulouse a bien raison de miser sur elle. Elle sera ainsi Rosine dans le Barbier de fin de saison (en alternance avec la non moins prometteuse Adèle Charvet). Le José de Jean-François Borras devrait être exemplaire.
Bordeaux à nouveau pourrait nous accueillir (février 2022) pour une nouvelle production de Werther de Massenet (1892) réalisée par Romain Gilbert à la régie, Pierre Dumoussaud dans la fosse. Avouons la vraie raison de ce choix : la présence dans le rôle titre de Benjamin Bernheim que nous considérons comme un des plus accomplis ténor français actuel dans ce répertoire. Son Faust sauvait du déraillement et du gouffre (et sauvera encore en fin de saison) la nouvelle production de l’Opéra Bastille. Son Werther est éclatant, juste, déchirant, comme on peut l’entendre dans son magnifique enregistrement d’airs d’opéras.
Pour parcourir la variété de l’opéra français, nous pourrions aussi choisir L’Enfant et les sortilèges de Ravel (et Colette) à Strasbourg ou à Lille, Phaéton de Lully à Nice, Pelléas à Montpellier. Mais nous opterons pour une découverte totale qui nous conduira au cœur de la France à Saint-Étienne en mai 2022. Le Grand Théâtre Massenet y monte Lancelot de Victorin Joncières. L’opéra n’a jamais été joué depuis sa création en 1900. Grand admirateur de Wagner, Victorin Joncières choisit de mettre en musique les amours de Lancelot et de la reine Guinèvre, épouse du Roi Arthur. Comment ne pas songer à Tristan ? Thomas Bettinger et Anaïk Morel prêteront leurs voix aux deux amants, dirigés par le metteur en scène Jean-Romain Vesperini auquel on doit la résurrection du Dante de Godard, et par le chef baroque Hervé Niquet qui s’offrira une parenthèse intensément lyrique entre ses deux Platée.
Un saut de puce et nous irons à Lyon pour une création mondiale en ce même mois de mai. Le compositeur (et organiste) Thierry Escaich a un catalogue riche d’une centaine d’œuvres, dont un opéra (Claude 2013), créé aussi à Lyon, d’après le récit poignant de Victor Hugo Claude Gueux, contre la peine de mort. Le spectacle était bouleversant. On trouve sur son site une présentation de cette œuvre.
Pour ce nouvel opéra, il a choisi un livret de l’écrivain franco-algérien Atiq Rahimi. Féérie persane, épopée dramatique, Shirine raconte les amours impossibles du roi de Perse Khosrow et d’une princesse chrétienne d’Arménie, Shirine. Pour mieux connaître ce récit persan, on peut consulter le site DA Lettres.
L’opéra est un art vivant : cette création d’un grand compositeur contemporain nous rappellera la modernité et la force toujours intacte de ce genre que l’on dit moribond.