MADAMA BUTTERFLY
Madama Butterfly de Giacomo Puccini. Tragedia giapponese en deux actes. 1903. Libretto de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce Madame Butterfly de David Belasco, basée sur l’histoire de John Luther Long, une œuvre redevable à Madame Chrysanthème de Pierre Loti. Première représentation au Teatro alla Scala, Milan, le 28 mai 1904.
Vu le 12 novembre 2021 par Stéphane Gilbart (à Avignon).
Cio-Cio-San (Madama Butterfly) : Héloïse Koempgen; Suzuki : Marion Lebègue; B.F Pinkerton : Avi Klemberg; Sharpless : Christian Federici; Goro : Pierre-Antoine Chaumien; Yamadori / Commissario imperiale : Matthieu Justine; Kate Pinkerton : Pascale Sicaud-Beauchesnais; Lo Zio Bonzo : Jean-Marie Delpas; Yakuside : Virgile Frannais; Orchestre National Avignon-Provence; Chœur de l’Opéra Grand Avignon ; Direction musicale : Samuel Jean; Mise en scène et lumières : Daniel Benoin.
Musique : 3***
Mise en scène : 2**
Elle y a cru, nous y croyons
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Photos: Studio Delestrade Avignon
Pauvre petite Cio-Cio-San, pauvre et pathétique Mrs Pinkerton, pauvre Madame Butterfly, pauvre petit papillon épinglé, broyé. En quelques appellations, le destin d’une héroïne tragique. Là-bas à Nagasaki, dans un Japon misérable, à peine âgée de quinze ans, elle est vendue à un officier de marine américain, « mariée » pour 999 ans, avec possibilité pour le « mari » de résiliation mensuelle du contrat. Elle y croit. Elle renonce à sa famille, à sa religion. Il part. Elle l’attend. Il revient, mais avec sa « femme américaine », légitime, officielle, désireux de reprendre l’enfant né de leur union. Elle se suicide avec le sabre de samouraï de son père, sur lequel on peut lire : « Il meurt avec honneur celui qui ne peut vivre avec honneur ».
Elle y a cru, nous ne cessons d’y croire, encore et encore émus, depuis la création de l’opéra en 1904. Un mélodrame ? Oui, mais bien plus que cela. Une enfance abusée, un contexte culturel, religieux et social, la morgue indifférente et « de bonne foi tranquille » de ceux qui sont les plus forts, la vénalité, l’amour pur, naïf, sans calcul, la tendresse, des touches d’humour, une tragédie irrésistible. Et surtout une partition si juste dans la façon dont elle dit le drame, dont elle est le drame. Ah ! ces thèmes pucciniens qui annoncent, qui exposent, qui rappellent. Nous entendons, nous ressentons, nous vibrons avant que les mots ne surgissent. Et l’on a beau connaître l’œuvre, l’avoir écoutée et écoutée, savoir à quel moment l’émotion est au rendez-vous, elle nous atteint chaque fois, bouleversante.
Evidemment, beaucoup de productions jouent la couleur locale, multipliant les kimonos, les petits pas entravés, les salutations multipliées, les chignons épais. Certaines mêmes excellent en japo-niaiserie. Réduisant alors l’œuvre à un mélodrame exotique efficace.
Au début de notre XXIe siècle, elle peut cependant prendre un sens plus urgent : la jeune femme abusée, éternelle proie de guerre là-bas, objet des désirs les plus primitifs ici.
Dans sa mise en scène, Daniel Benoin a voulu l’installer dans un contexte qui nous est sans doute plus parlant, celui du Japon anéanti en 1945 par les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki justement. Malheur aux victimes. C’est une idée bienvenue, mais qui a vite fait le tour de son sens et de sa portée.
La mise en scène développe quelques bonnes idées de mise en place du chœur, de dramatisation. Mais elle nous a gêné à plusieurs reprises. Dans ses intentions réalistes d’abord : il y a certes une volonté de faire vivre l’action, mais Daniel Benoin, qui est pourtant un homme de théâtre expérimenté, devrait savoir que la simulation d’une séquence amoureuse, et surtout quand elle est vécue en direct par des chanteurs au bord d’un plateau, est le plus souvent maladroite et prête davantage à rire qu’à s’émouvoir. Dans certains de ses procédés ensuite, vite devenus mécaniques, comme le coup de projecteur poursuite-chanteur de variétés sur l’héroïne accablée. D’autres laissent plus perplexes, ainsi les petits bateaux jouets au bout du plateau pour signaler le retour de Pinkerton.
Musicalement, Samuel Jean donne vie à cette merveilleuse partition, manifestement en belle harmonie avec l’Orchestre National Avignon-Provence. Un orchestre dont les cordes nous ont séduit notamment dans le grand duo d’amour de la fin de l’acte I, mais dont les cuivres nous ont semblé par trop fortissimo et donc peu nuancés.
Vocalement, la production a dû s’accommoder d’une grippe pernicieuse qui a tenu éloignée Noriko Urata. Héloïse Koempgen l’a remplacée en Cio-Cio-San, imposant un personnage que les exigences d’une mise en scène à découvrir si vite l’ont sans doute empêchée d’en multiplier les nuances expressives. A ses côtés, Avi Klemberg est un Pinkerton qui passe lui aussi en force lyrique. Christian Federici, le consul Sharpless, a la juste présence de celui qui a vite compris comment tout cela va tourner mal. Quant à Marion Lebègue, Suzuki, elle a vocalement et scéniquement la présence de la servante dévouée. Pierre-Antoine Chaumien est un Goro maffieux à souhait, Jean-Marie Delpas est un Zio Bonzo terriblement imprécateur.
Il nous a émus, le petit papillon, le Butterfly. Il nous émouvra encore.
Stéphane Gilbart