« Régine Crespin, la Vie et le Chant d’une Femme »

« Régine Crespin, la Vie et le Chant d’une Femme »
par Jérôme Pesqué

Régine Crespin (1927-2007) demeure la plus grande soprano française dont aucun fan de lyrique n’a oublié la carrière, les représentations, les récitals, les enregistrements. Elle a écrit elle même deux livres autobiographiques La Vie et l’Amour d’une femme (1982) et A la scène, à la ville (1997), riche de souvenirs, d’anecdotes, de confidences. Sous le titre très schumannien La Vie et le Chant d’une Femme, Jérôme Pesqué, historien, musicologue, fondateur, administrateur et animateur du site français ODB Opéra se livre à un tout autre travail de plus grande ampleur.

 

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C’est plus qu’une somme (636 pages!), c’est le résultat imposant, exhaustif, colossal d’années de recherches, dans les archives des institutions  lyriques, les revues, les journaux, les programmes,  les mémoires de ceux qui ont aimé la Crespin et ont écrit sur elle. Peu de chanteurs ont pu bénéficier d’une telle recension, et nul désormais ne pourra travailler sur Régine Crespin sans se référer à ce gros bouquin. Peut-être même nul ne pourra écrire sur un chanteur lyrique sans avoir à l’esprit cet ouvrage qui va désormais servir de référence par sa densité, son organisation, sa puissance d’évocation. La première partie scande en 14 étapes le parcours professionnel de la diva, de sa première apparition officielle sur scène (Elsa dans Lohengrin à Mulhouse le 5/01/1950) à sa dernière représentation (La Comtesse de La Dame de Pique le 20/06/1989 à Clermont-Ferrand) et son activité publique (master classes et participation à des hommages). Elle est assortie des commentaires que les critiques et journalistes ont consacrés à ses prestations. Une chronologie détaillée, au jour le jour, ne fait l’impasse sur aucune représentation de la chanteuse (enrichie des distributions).  Dans un Abécédaire plein d’humour, parfois plus douloureux le lecteur va d’Acoustique à Zinka (Milanov) en passant par Aigu, Cachets, Enregistrements, Gastronomie , Trac et… Water Closet… Des témoignages, quelques photos, un article sur les mentors de la cantatrice, une discographie exhaustive, une bibliographie complètent entre autres informations et documents le travail d’Hercule ou de bénédictin de Jérôme Pesqué. Et Régine Crespin méritait à coup sûr cet hommage, mieux cette consécration, élan de ferveur émue.

Tosca

Voulez-vous connaître les rôles les plus interprétés par notre Crespin internationale ? Jérôme Pesqué les a dénombrés : La Maréchale du Rosenkavalier (140 fois) Tosca (à quasi égalité), Sieglinde (87), Madame de Croissy dans les Dialogues des Carmélites (70), Elsa de Lohengrin (54), Desdémone (47), Kundry (42),  La Grande Duchesse de Gérolstein (41), Didon des Troyens (39). Et ses trois rôles de prédilection?  La Maréchale, Sieglinde, Didon des Troyens. Ses fiertés ? Avoir triomphé, elle la Française née à Marseille,  à Bayreuth dans quelques grands rôles wagnériens et à Vienne et ailleurs pour une Maréchale de légende. Avoir aussi donné son nom à une rose ! Son enregistrement d’elle préféré ? La Walkyrie dirigé par Solti, et un disque de Mélodies (Schumann, Wolf, Debussy, Poulenc…) A propos de celui mythique des Nuits d’été avec Ansermet, le livre rappelle l’anecdote fameuse des prises multiples du Spectre de la Rose : elle avait chanté le dernier mot avec un soupir, une voix en allée. Le chef n’avait pas senti le bien fondé du choix musical. Après les explications de la chanteuse, « nous garderons la première prise. C’était la meilleure », conclut le maître.  On trouvera aussi d’autres épisodes : son refus opposé à Karajan en personne de chanter Elisabeth de Valois dans Don Carlo (« Elle promène de jolis costumes, c’est tout ») ;  son admiration totale pour Dietrich Fischer-Dieskau ; le jour où Vickers avala une mouche dans les Troyens ;  ou celui où Gabriel Bacquier la sauva de la noyade…

« D’amour l’ardente flamme » La Damnation de Faust. (Berlioz)
« Je vais mourir… Adieu, fière cité » Berlioz. Les Troyens.
 

Et retenons cette prophétie inquiète, telle Cassandre, dans l’article Metteurs en scène  datée d’un quart de siècle« Ne versons pas dans l’ère de la mise en scène, comme c’est malheureusement, un peu, le cas à l’heure actuelle » (25/06/1986!).

De ces plus de 600 pages, que retenir de son art en quelques mots ?  D’abord l’unanimité (ou presque) des critiques qui dès ses débuts signalent la singularité de cette artiste hors norme et souvent avec une pertinence, un sens de l’avenir et une précision remarquables. Sur les centaines, retenons ce commentaire  : « La majesté d’un art pur et sincère s’impose à tous en matière de théâtre lyrique comme en toute autre chose. Quand elle brille de l’éclair du génie, les plus aveugles en sont illuminés, et n’est-elle pas géniale cette incarnation de Floria Tosca par Mademoiselle Régine Crespin ? […Elle] rayonne d’intelligence et de goût, autant que de charme et de beauté ; sa voix, d’une rare qualité par le volume, l’homogénéité, l’étendue et le timbre, est conduite avec une exquise musicalité. Aucune des intentions du compositeur et des librettistes ne lui échappe ; et elle sait leur donner leur exacte valeur » (Le Soir, 31/01/1955). Crespin a 28 ans !

Régine Crespin interprète avec quelques paroles changées « C’est vrai », entourée de danseurs avec plumes.

Éclairés par les critiques tentons de dire l’essence de ce chant si prenant. Il y a la puissance d’une voix toujours maîtrisée, son éclat, sa limpidité, l’onctuosité d’un timbre lumineux. L’homogénéité des registres. L’élégance de la ligne tant chez Strauss et Wagner que dans Berlioz ou Offenbach. La musicalité, le sens des couleurs et une intelligence aiguë des personnages et des intentions du compositeur. Son sens des langues, articulées avec une rigueur et un phrasé exemplaires, un art de faire vivre les mots (l’allemand, l’italien, le russe et bien évidemment le français, suprêmement distingué et naturel, poétique). Et sur scène, sa prestance physique ; son jeu subtil et expressif qui rendent chaque apparition unique, chaque incarnation inoubliable. « Chez elle, il semble que la vérité psychologique naisse de l’exactitude musicale », résumait avec pertinence un critique.

 

Nous avons adoré Régine Crespin et nous l’aimons toujours. Ce livre a le grand mérite de justifier notre choix et de nous la faire plus encore aimer. Il nous invite à puiser dans nos discothèques ses précieux enregistrements et à la réécouter à l’infini. Par exemple ces six minutes qui disent les adieux à la vie de Didon dans les Troyens de Berlioz, miracle de goût, de finesse, d’émotion,  d’intelligence musicale, de beauté sonore.

 

 

Jean JORDY
pour Opera Gazet
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Évaluation de l'article
Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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Fred
Fred
2 années il y a

de grootste Franse zangeres?!?!? Altijd oppassen met pontificale uitspraken, denk dat Ninon Vallin even goed deze uitspraak verdient, en er was ook een zekere Félia Litvinne. Dus er had beter « grootste na-oorlogse zangeres », daar kan ik nog inkomen…..

JORDY Jean
JORDY Jean
2 années il y a
Répondre à  Fred

Vous avez raison. J’aurais dû me montrer plus nuancé et écrire : « La plus connue » ou « la plus médiatique » ou plus simplement « la plus grande à nos yeux ». Mais quand on aime on ne sait pas modérer ses mots d’amour.