Opéra de Paris : la cancel culture entre promesses de diversité et risque de censure ?
Un manifeste, un entretien dans un journal, une polémique et des mises au point embarrassées sont les dernières péripéties du débat en France sur le phénomène nommé « cancel culture ». tel qu’il se pose à l’Opéra de Paris.
You can have any review automatically translated. Click the Google Translate button (“Vertalen”), which can be found at the top right of the page. In the Contact Page, the button is in the right column. Select your language at the upper left.
La pratique est à la fois ancienne et universelle. La « cancel culture » pourrait en français se traduire par « culture de l’exclusion, du boycott ou de l’annulation ». Dans une société ou dans un domaine d’activités donnés, on exclurait les personnes, à compétence égale, en les discriminant, leur refusant les postes, les emplois, les rôles en raison de leur couleur de peau, de leur origine ethnique ou d’autres facteurs. Dénoncer la « cancel culture » serait donc à la fois témoigner de cette réalité et demander une intégration, un accès à ces fonctions interdites. Dans le domaine de la culture et des activités artistiques, cette notion s’est étendue à l’exclusion dans les publications et les programmations d’œuvres mettant en scène des situations, des personnages ou des idées discriminants. L’exemple récent le plus significatif est le changement de titre du roman d’Agatha Christie Les dix petits Nègres en Ils étaient dix, bannissant ainsi le nom jugé méprisant ou discriminatoire. Au sens propre, voici les « nègres » éliminés du titre : cancelled.
Politique anti-discrimination
L’Opéra de Paris est-il touché par ce syndrome ? Un petit groupe de danseurs, auquel s’associeront des choristes ou des chanteurs de la vénérable institution écrit en mai 2020 un manifeste que signe (à peine) un cinquième des salariés (soit 300 personnes) : ils réclament l’instauration d’une politique anti-discrimination interne efficace. Dans un article daté du 25 décembre 2020, le quotidien Le Monde résume leur position : « Non, l’Opéra [de Paris] n’est pas une institution raciste, mais, oui, certains salariés souffrent de se sentir discriminés, qu’il s’agisse de la couleur de leur peau ou de leur façon de manier la langue française, notamment pour certains artistes venus d’Asie. Cela doit changer. » Alexander Neef récemment nommé directeur de l’Opéra de Paris crée d’emblée les conditions favorables à un dialogue et à la recherche de solutions. Ancien directeur de la Canadian Opera Company, il est imprégné de la culture nord américaine qui proscrit par exemple la pratique du blackface. Désormais, il est interdit sur les scènes américaines de grimer un blanc en noir et on fait appel pour ces rôles « de couleur » aux artistes métis ou noirs. Alexander Neef missionne fin septembre une équipe pour auditer et faire des propositions qu’il est tout prêt à adopter. On attend les conclusions imminentes de cette commission.
Voilà des promesses bienvenues. Mais à trop parler, on prend des risques. Et d’abord celui d’enclencher des polémiques. Lors d’un entretien avec une journaliste toujours du Monde, Alexander Neef aurait évoqué des ballets célèbres sur une chorégraphie de Rudolf Noureev, dont La Bayadère et Le Lac des cygnes. Il aurait ajouté hâtivement que « certaines œuvres vont sans doute disparaître du répertoire ». On imagine le tollé. On crie à la censure, aux ravages d’une nouvelle forme de « cancel culture ». Le nouveau directeur veut corriger et délivre un tweet qui remet le feu aux poudres. Il n’aurait pas visé des ballets, mais des opéras, jugés obsolètes, plus précisément des « œuvres lyriques peu en phase avec l’époque » , rapporte en date du 08/01/2020 une nouvelle chronique du même quotidien national de référence, signée Michel Guerrin, rédacteur en chef. Et le journaliste analyse: «On voit le casse-tête. L’opéra et le ballet devraient, dans un mouvement complexe et incertain, diversifier leur offre afin de diversifier leurs interprètes et leur public mais sans fragiliser l’identité-maison.». Et de conclure : « Mais la France prend lentement ce chemin américain, qui se traduit par une autocensure galopante des artistes et des programmateurs afin d’éviter les ennuis. Et par la promotion d’œuvres lisses et pleines de bons sentiments. En étant le premier patron d’institution culturelle à prononcer publiquement le verbe « supprimer » dans un contexte de diversité, Alexander Neef s’inscrit dans ce débat. Volontairement ou pas. »
A quelles œuvres lyriques (ou quelles productions) faisait allusion le Directeur de l’Opéra de Paris? L’avenir nous le dira… dès que la maison pourra ouvrir ses portes et que la programmation de la saison 2021-2022 prendra forme. A suivre, avec plus de curiosité que d’inquiétude.
Ce serait en effet établir un procès d’intention indigne de lui et fondé sur des maladresses ou des incertitudes que d’imaginer le nouveau Directeur adepte de la censure. Nous le croyons plutôt disposé à élargir le répertoire, à le diversifier, à chercher aussi à diversifier les artistes (chanteurs, chefs et metteurs en scène), et sans doute aussi et surtout à diversifier le public, toutes couleurs confondues. Pour enrichir l’imaginaire de chaque amateur de danse et de lyrique.