NACHTGEDANKEN
Admirateurs des seuls Boulez, Ligeti ou Schoenberg, cet enregistrement n’est pas fait pour vous. Voici en effet un compositeur contemporain, doué et exigeant, qui refuse les modes, les avant-gardismes, et les embrigadements dans des écoles. George Beentjes, jeune musicien néerlandais, revendiquerait sans doute le qualificatif de romantique et placerait son œuvre dans les traces respectées de Schubert et de Liszt. Provocateur, un rien dandy, peut-être se reconnaîtrait-il dans la définition que Baudelaire donnait : « Qui dit romantisme dit art moderne, — c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini ».
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Toutes ces réminiscences du XIX° siècle viennent à l’esprit à l’écoute des cinq lieder mis en musique sur des poèmes de Nietzsche, Lenau, Rilke et Goethe. Le choix des auteurs n’est pas neutre et proclame hautement une ascendance littéraire et lyrique revendiquée, tout autant que leur traitement musical. Dominent un mal être, un spleen, une absence au monde, l’errance qui sont l’essence même de l’âme romantique et des lieder qui l’expriment.
Ouvre le disque une scène de la vie domestique, signée Nietzsche, scène de genre pourrait-on dire en peinture, pleine d’humour et de fantaisie, mais à la portée plus universelle .
C’est sans doute le sens du titre Trost für Anfänger. La position du bébé « avec les orteils repliés » promet une conquête de la marche et de l’espace. Et ce devenir constitue un « réconfort » pour tous ceux qui débutent dans une discipline quelle qu’elle soit. Cet éloge de la volonté n’est pas marqué par une partition triomphante. Et l’on touche d’emblée une des caractéristiques de la musique de George Beentjes : l’euphémisme. La discrétion, l’effacement non de l’affect, mais des effets. La reprise du quatrain suffit à exprimer la victoire promise que vient altérer par une modulation inattendue l’accord final.
La voix fraîche et sereine de la soprano Christy Luth entre en harmonie avec ce tableautin. D’essence schubertienne, Sonnenuntergang sur un poème de Lenau est une évocation et une vision. Mais pour traduire ce ciel tourmenté, ces éclairs, cette tempête naissante et l’apparition du visage aimé, sans doute aussi tourmentant, pas de coup de tonnerre intempestif au piano, pas de grondement dans la voix, aucun tohu-bohu de mauvais goût.
Mais le développement d’une ligne musicale qui en son cœur prolonge un accord comme un silence. La tessiture du baryton, ici l’expérimenté Ago Verdonschot, appelle à la mémoire des cycles fameux.
Et comment ne pas évoquer encore Schubert et son Voyage d’hiver (Winterreise) dans les vers choisis du Erster Abschied de Nietzsche ? Silence sinistre, angoisse, amertume, glas, solitude hantent le poème, échos d’autres lieder allemands. Le compositeur a construit une sorte de marche tranquille dont la pulsion résolue accompagne le poète à la tombe qui semble l’appeler. De cette résignation sourd une vraie émotion que l’absence volontaire de couleurs dans la voix rend plus tragique. On retrouve le Wanderer dès le premier vers de la plainte de Rilke Nachtgedanken. On nous permettra de trouver le traitement musical plus extérieur, moins intime avec des effets emphatiques que la voix du chanteur, un peu à la limite de ses possibilités, n’aide pas à corriger. Le dernier lied sur le poème de Goethe Neue liebe, neues leben convainc pleinement. L’ouverture au piano, subtile, presque impressionniste annonce un accompagnement qu’on qualifiera de lisztien. Il déploie une ligne mélodique tendre et douce qui donne une couleur singulière au poème amputé. Ainsi de lied en lied, l’auditeur suit un itinéraire qui par de là les angoisses et les orages voit s’illuminer une forme de sérénité.
Cet enregistrement s’écoute avec un plaisir croissant. Il séduit mais parait d’un autre âge. Nostalgie, imitation, réécriture admirative, on ne peut trancher. George Beentjes, musicien délicat, est-il prêt sans se renier à plus d’audace ?