RIGOLETTO
Rigoletto de Giuseppe Verdi. Melodramma en trois actes. 1851. Libretto de Francesco Maria Piave, d’après la pièce de Victor Hugo Le Roi s’amuse. Première représentation au Teatro La Fenice, à Venise, le 11 mars 1851.
Paris, 29/10/2021
Rigoletto : Ludovic Tézier; Gilda : Nadine Sierra; Il Duca di Mantova : Dmitry Korchak; Sparafucile : Goderdzi Janelidze; Maddalena : Justina Gringyté; Il Conte di Monterone : Bogdan Talos; Giovanna : Cassandre Berthon; Marullo : Jean-Luc Ballestra; Matteo Borsa : Maciej Kwaśnikowski; Il Conte di Ceprano : Florent Mbia; La Contessa : Izabella Wnorowska-Pluchart; Paggio della Duchessa : Lise Nougier; Usciere di Corte : Pierpaolo Palloni; Double de Rigoletto : Henri Bernard Guizirian; Direction musicale : Giacomo Sagripanti; Mise en scène : Claus Guth.
Rigoletto mis en boîte, mais triomphant
Régie : 3***
Interprétation : 5*****
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Avec Rigoletto à Bastille en 2016, Claus Guth signait sa première collaboration avec l’institution française. Accueillie fraîchement à sa création, la production du dramaturge allemand suscite désormais molles réserves ou indifférence. La splendide interprétation vocale de cette reprise ne souffre, elle, aucune contestation.
La conception n’a rien de scandaleux et produit même de beaux moments. Le prélude voit un marginal sans domicile fixe, double muet de Rigoletto, traînant un carton d’où il extrait les reliques d’un lourd passé : son costume de bouffon, une robe souillée de sang, celle de Gilda assassinée. La boite devient décor unique abritant la projection de la tragédie. Rigoletto, hanté par son alter ego déchu, revivra les épisodes du drame : son rôle d’amuseur odieux du Duc, la malédiction dont il est la cible, l’enlèvement de sa fille, la perfidie du libertin, l’assassinat programmé mais raté du séducteur, la mort de Gilda qui se sacrifie. Intelligible, cohérente, la mise en scène ose des provocations ou des facéties inutiles qui ont focalisé les critiques : l’ennuyeuse tristesse de la boite-décor, constamment laide, la transformation de Maddalena en meneuse de revue, les danseuses à plumes de « la donne e mobile ». Encore ce traitement raille-t-il la vacuité d’un personnage et celle d’un air et de sa trop fameuse célébrité !
Mais le début du III et l’admirable quatuor de « Bella figlia del amore » pâtissent de cette trivialité. Au crédit de l’équipe dramaturgique, il faut porter la permanence du double clownesque (déchirant Henri Bernard Gulzirian), la gémellité entre le bouffon et l’assassin (« Pari siamo » reconnaît le héros), le flash-back qui décuple l’ironie tragique du faux triomphe du père bafoué et vengeur, la mort de Gilda en allée, les fugaces évocations colorées d’un passé enfui. On oublie les facilités et on salue les réussites, tout à l’éblouissement devant l’interprétation.
Ludovic Tézier
Le grand baryton français Ludovic Tézier reprend le personnage applaudi à Toulouse en 2015 après sa prise de rôle à Besançon en 2011. Nous écrivions alors: « Tézier en Rigoletto c’est d’abord une présence. Celle d’un homme jeune, d’un père dans la force de l’âge, bouleversé par le sort réservé à sa fille et animé d’une révolte à la fois puissante et retenue. La ligne de chant reste exemplaire dans la tendresse comme dans la rage. Le legato est de toute beauté.
Dans la plénitude de ses moyens, Ludovic Tézier bouleverse dans son duo avec Gilda comme dans le cri final. Grandiose. On pourrait paraphraser Verdi, disant du baryton Victor Maurel : « Je n’ai jamais entendu aucun artiste parler à l’oreille du public avec autant de clarté et d’expression […]. Jamais. Jamais. » On peut ajouter que la perception du personnage douloureux s’est approfondie, qu’il se montre plus poignant encore, par un phrasé, un engagement vocal, une émotion qu’il puise dans la vie même et dans sa fréquentation toujours plus intense des grands rôles de baryton verdien où il excelle. Nadine Sierra est la plus belle Gilda que nous ayons entendue. Loin des roucoulades vides, le « Caro nome » conjugue tendresse et ravissement. En parfaite osmose avec Tézier, le duo du II fait frémir et exalte, déclenchant l’enthousiasme du public. L’éclat lumineux de la voix, la longueur du souffle, une parfaite technique, un goût très sûr de l’ornementation, des pianissimi subtils, l’incarnation scénique de la fraîche jeune fille, tout séduit et enchante. Dmitry Korchak est avant tout un bon ténor rossinien, doté d’une solide technique belcantiste. Son Duc en garde le brillant et la souplesse. Sans doute manque-t-il, à l’opposé de ses partenaires, d’un supplément d’âme. Mais, personnage vide, le Duc a-t-il une âme ? En Sparafucile, Goderdzi Janelidze (une révélation) impressionne par des graves abyssaux et une réelle prestance. Justina Gringyté, mezzo soprano au timbre envoûtant parvient à sauver de la vulgarité une Maddalena sacrifiée par le metteur en scène. Les chœurs (masculins) splendides, vibrants, incisifs s’engagent dans le drame avec intensité, manifestant cohésion et élan.
Nous avions apprécié la direction de Paolo Sagripanti dans une Lucrèce Borgia de Donizetti à Toulouse en 2019. Nous retrouvons dans la fosse de Bastille qu’il connaît bien les mêmes qualités du jeune chef italien: l’énergie, la souplesse, le dynamisme, la tension, l’attention aux chanteurs, essentielle pour trouver un équilibre harmonieux entre la salle et la scène, et ce mélange, subtil à rendre chez Verdi, de raffinement et d’efficacité dramatique. La scène et le trio de l’orage par exemple sont servis avec une grande maîtrise. Bravissimo.
Des réticences, mais le souvenir vivace d’une belle soirée musicale. Notons l’excellente qualité du livret programme et de ses analyses.
Jean Jordy
31/10/2021