Deux actes ridiculisés par ce que le regietheater a de plus prétentieux, une fin plus conforme au sublime verdien, l’ensemble parasité par l’omniprésence d’une marionnette envahissante, telle apparaît la mise en scène littéralement iconoclaste d’ Aida à l’Opéra de Paris. Mais on veut retenir une interprétation vocale hors pair dominée par Mme Sondra Radvanovsky.
Lotte de Beer, après avoir placé les Pêcheurs de perles dans un jeu télévisé exotique, s’empare de la tragédie égyptienne de Verdi pour plonger le spectateur dans un musée mêlant curiosités ethnologiques et tableaux historiques. Le résultat dans ce type de concept est toujours identique : la volonté a priori stimulante de « repenser notre rapport aux productions esthétiques du passé et du présent » se heurte à nos habitudes confortables (ce peut être salutaire), plus gravement à l’œuvre.
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Ce qui devrait balayer les clichés, révéler un sens nouveau, décape, démolit. Ce n’est plus une relecture, c’est du Karcher. Il est temps d’arrêter le massacre des œuvres. Le crime de Lotte de Beer est-il pire que celui de ces devanciers qui sévissent en toute impunité ? Sans doute pas. Mais c’est un de trop. La dame cultivée, bonne scénographe, cohérente dans sa démarche sait construire des tableaux et susciter des interrogations. Mais ici toute la première partie s’avère d’un kitch totalement assumé pour déconstruire les représentations mentales de l’Occident et surtout nous éloigne de l’œuvre qu’on ne comprend plus.
La dramaturgie repose sur une belle « image », mais inopérante : le personnage d’Aïda devient une grande marionnette (au sens propre) noire que manipulent trois artistes de la Compagnie Significant Object et la chanteuse de noir vêtue n’est que son double. Sondra Radvanovski la suit épouse ses mouvements, entretenant avec l’icône articulée une relation sensible qu’elle sait rendre émouvante. L’action n’a plus de sens (sauf si on intellectualise à outrance). Transposée en 1871, l’année de la création d’Aida, elle raconte bien la même histoire d’amour, de jalousie et de conflit guerrier. Mais en la parasitant par une volonté au sens propre iconoclaste. Le défilé des Trompettes devient une succession spectaculaires de tableaux historiques vivants, de l’antiquité égyptienne (oui quand même) au fameux épisode de la bataille d’Iwo Jima, en passant par Gros, Poussin, Delacroix, et en apothéose d’autodérision la Gloire (Amnéris) parée d’ailes blanches couronnant le Général vainqueur.
La seconde partie se révèle dramatiquement plus sobre et ainsi plus intense par la grâce des trois interprètes majeurs. Mais la présence encombrante de la marionnette, multipliée par la captation, dévie les rapports et tue l’émotion. Au milieu des cadavres d’autres marionnettes désarticulées, le duo final, dépouillé du fatras initial, rendu à la musique et à la tragédie, s’élève à des hauteurs sublimes.
Admirable de bout en bout, protégée par son statut d’ombre et de double, moins exposée aux outrages de la régie, Sondra Radvanovski confirme qu’elle est la plus grande Aida de notre temps. Engagement dramatique, émotion, voix superbe de puissance et de tendresse, pianissimi de rêve , elle la première sauve la représentation du désastre. Kaufmann, un peu engoncé, est le ténor que l’on sait, héroïque, magistral, coloriste hors pair, capable de pianos superbes, puissant et émouvant : la fin signe la prestation d’un immense artiste, Tézier s’avère le meilleur baryton verdien d’aujourd’hui, mariant legato et mordant, autorité et musicalité. L’Amnéris de Ksenia Dudnikova, handicapée par un costume qui ne la flatte guère, convainc moins, par manque de noirceur et de charisme. Soloman Howard impose son personnage royal avec dignité. Il est difficile sur ordinateur de juger la prestation de l’orchestre dirigé par l’efficace Michele Mariotti: c’est du moins un travail solide et de bon goût.