Daphnis et Alcimadure. Revival Mondonville bien festif.

 Daphnis et Alcimadure (1754) de Mondonville

Elodie Fonnard : Alcimadure, soprano
François-Nicolas Geslot : Daphnis, haute-contre
Fabien Hyon : Jeanet, taille
Hélène Le Corre : Clémence Isaure, soprano (prologue en français)

Le Chœur de Chambre Les éléments  dir : Joël Suhubiette
L’Orchestre Les Passions
Jean-Marc Andrieu, direction

Concert du 12/10/2022 Capitole Toulouse

Musique: 4****


Une pastorale baroque en langue occitane : « Dansez, sautez, trémoussez -vous »

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Le Capitole de Toulouse célèbre en version concert la résurrection d’un opéra de Mondonville, contemporain de Rameau, inspiré de La Fontaine. Tout l’art de la musique baroque française s’épanche dans cette création sensible, fraîche et tonique.

Une fable de La Fontaine (XII, 24) fait le récit de l’amour éperdu que « le jeune et beau Daphnis, berger de noble race » éprouve pour l’insensible Alcimadure qui repousse ses avances. « Il ne songea plus qu’à mourir » et meurt en effet, pleuré enfin par la belle. Sur ce thème traditionnel de l’amour non partagé, Jean-Joseph de Mondonville (1711-1772) construit le livret d’un opéra baroque, présenté triomphalement le 29 octobre 1754 devant le Roi Louis XV.

L’intrigue adoucie se révèle moins tragique que chez le fabuliste. Daphnis sauve la jeune fille d’un loup féroce et fait naître chez son amante des sentiments plus tendres. Jeanet, frère d’Alcimadure déguisé en soldat, feint de l’aimer, provoquant la jalousie du berger dont on annonce faussement le trépas. Désespérée, puis rassurée, Alcimadure se laisse vaincre par l’amour. Tout finit par des chants et des danses. Le chef et flûtiste Jean-Marc Andrieu, directeur musical des Passions, ressuscite cette « pastorale languedocienne en un Prologue et 3 actes ». En vers rimés, elle est écrite, à l’exception du Prologue, en langue occitane : « On trouve [dans cette langue] cette douceur et cette naïveté tendre qui se prête si bien à l’expression du sentiment », analyse le librettiste-compositeur. L’auteur y chante la sincérité des âmes tendres et les subterfuges de l’amour.

Daphnis et Alcimadure
Daphnis et Alcimadure. Toulouse, 2022.

Un orchestre baroque d’instruments anciens, des chœurs et quatre solistes défendent avec énergie et humour une partition inventive d’un compositeur mort il y a 250 ans, encore mal connu. Ses œuvres depuis quelques décennies sortent de l’ombre grâce à quelques enregistrements. On doit à Marc Minkowski, William Christie, Gaétan Jarry d’admirer ses Grands Motets. Trois de ses opéras sont accessibles, Isbé, Les Fêtes de Paphos et surtout Titon et l’Aurore dont les diffusions en janvier 2021 ont estompé les tristes miasmes du confinement. Tout aussi revigorante s’avère la redécouverte du jour.

Le Prologue glorifie les Jeux Floraux de Toulouse et leur fondatrice, la poétesse Clémence Isaure. « dame aussi distinguée par sa naissance que par son esprit ». Des chœurs chantants, des « personnages dansants » entourent la femme de lettres pour célébrer « le plaisir de bien aimer » et le badinage, garantie d’un amour durable. La soprano Hélène Le Corre prête au personnage la grâce et la finesse attendues, au gré d’une musique allègre et tonique. Le premier vers de la pastorale donne le climat général : « Hélas ! Pauret, que farey jou ! ». La tristesse et le désarroi du berger mal aimé s’expriment naïvement, sans pathos.

Daphnis et Alcimadure
Daphnis et Alcimadure ©Patrice Nin

Et cette simplicité touchante caractérise l’art de Mondonville. Le musicien parcourt l’itinéraire d’une Carte du Tendre simplifiée, de la mélancolie ou de la résistance au triomphe de l’amour. Le rôle du « pauvre » Daphnis était à la création confié à Pierre de Jélyotte, haute-contre fameux, choyé par Rameau. François-Nicolas Geslot fait briller cette voix de ténor aiguë, souple, ductile, propre ici à l’expression de la douleur et de la douceur. Ses nombreux airs développent volutes et vocalises d’une partition à la texture légère, pleine de saveurs, d’alliances de couleurs, d’effets de timbres. On apprécie la variété des climats, source de plaisirs renouvelés : le chant d’amour (« Qui bey la bel’ Alcimaduro ») vibre de l’écho des oiseaux dans la charmille ; celui avec chœur (« Lou Diu nenet ») s’offre l’audace de simuler les éclats de l’éclair.

Révélée par le Jardin des Voix de William Christie, Elodie Fonnard séduit dans un rôle créé par Marie Fel, égérie du chant français pendant la Querelle des Bouffons. Le livret offre au personnage une réelle évolution, de la volonté de rester libre à la naissance d’un amour authentique. L’air « Gazouillats auzeléts » est un hymne convaincu à la liberté que des roucoulades parent à ravir. Celui qui ouvre l’acte III marie avec grâce plainte et frémissement. La tessiture de taille, correspondant à ce que nous nommerions bariténor, sied à Jeanet, servi avec conviction par Fabien Hyon. Sorte de Figaro peu avant l’heure, il apparaît intrigant, sympathique, pragmatique. La gouaille du ténor, sa voix affirmée et ensoleillée apportent saveur et pittoresque, notamment dans une évocation enlevée du tintamarre de la guerre aux onomatopées et à la verve orchestrale originales et efficaces. Les Chœurs excellents confirment la qualité dramatique de l’acte II, somment de la pastorale.

Daphnis et Alcimadure. Toulouse, 2022.
Les Passions. ©Jean-Jacques Ader.

A la tête d’une formation bien nommée Les Passions, forte de vingt-cinq musiciens jouant sur instruments anciens, Jean Marc Andrieu, maître d’œuvre de cette résurrection, insuffle à la partition élan, éclat, énergie, non sans raideur parfois. Les airs, duos et récitatifs s’enchaînent avec vivacité et une étonnante variété de motifs et de sonorités. Les moments de danse abondent, vifs et légers, un peu répétitifs toutefois. Malgré une intrigue privée de rebondissements dans les dernières scènes, le final revivifie. « Dansats, sautats, trémoussats bous » : ce revival Mondonville est décidément bien festif.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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