BARTOLI
Récital Vivaldi/ Haendel Halle aux Grains Toulouse Les Grands interprètes 07/11/2022
Cecilia Bartoli, mezzosoprano
Les Musiciens du Prince – Monaco, direction Gianluca Capuano
Musique: 5*****
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Adorée du public occitan, revoici Cecilia Bartoli fidèle au rendez-vous quasi bi-annuel proposé par les Grands Interprètes, devant un public électrisé à l’avance, mariant dans le même bouquet ses deux compositeurs depuis longtemps célébrés, Vivaldi et Haendel.
D’emblée l’Orchestre des Musiciens du Prince – Monaco, dirigé par le discret et efficace Gianluca Capuano, partenaire privilégié, séduit par sa rondeur, son dynamisme, ses couleurs. Puisque des sections des Quatre saisons ponctueront le concert (Inverno et Estate), associons-leur une saison appropriée : l’automne, à cause du chatoiement de la palette chromatique, du frémissement des cordes et des bois, de la chaleur tendre du son, du miroitement feutré de la lumière. Tous les instruments s’unissent pour faire escorte à la chanteuse, dialoguer avec elle, l’envelopper de leur parure mordorée. Voir tous les musiciens avec Cecilia Bartoli sur la même ligne pour saluer à la fin du concert restera une belle image de confraternité et on se souviendra de Cécilia arpentant le vaste plateau, prenant soin des spectateurs où qu’ils se trouvent situés, applaudissant ses confrères, proche et souveraine.
Commencer le récital d’airs par « Quell’augellin che canta » extrait de La Salvia de Vivaldi, c’est mettre d’emblée le public dans sa poche. Pétillant, brillant, mélodieux, il est si joliment accompagné par un orchestre soyeux et pépiant. La magie opère. Comme pour les grandes stars, le plaisir du spectacle réside dans la connivence, la joie de retrouver celles qu’on aime telles qu’on les aime, inchangées, comme éternelles. De tels rendez-vous scellent la reconnaissance et l’échange. Mais est-elle vraiment inchangée ? Réservant à de courts instants les traits de pure virtuosité, les pyrotechnies vocales, la voici dans un récital plus intériorisé, spectaculaire autrement, désormais habitant une « période » (comme on dit en peinture) plus sobre qui touche au cœur. Un détail peut signifier ce changement : la chanteuse a choisi une robe de concert d’un vert sombre un peu sévère, loin des parures exubérantes ou rutilantes d’un passé proche.
Contraste oblige : le deuxième aria installe un climat contemplatif. L’intimiste air de Perseo (Andromeda liberata) rappelle que la cantatrice est une mezzo dont la voix souple sait au-delà de la virtuosité se faire l’interprète la plus expressive de sentiments sublimes. Et ce « Sovente il sole risplende in cielo » de Vivaldi est sublime : la cantatrice semble fascinée par cette vision extatique d’une nature en plein accord avec le cœur du personnage ébloui, transporté. L’air de Ruggiero extrait de Orlando furioso « Sol da te, mio dolce amore » fait valoir la souplesse et les moirures d’une voix que le cours du temps n’indure pas ni ne ternit. Le public est absorbé dans le charme sonore de ce chant accompagné d’une flûte énivrée.
L’Air de Farnace dans l’opéra du même nom « Gelido in ogni Vena » constitue l’acmé du récital. Les reprises angoissées de « M’ingombra di terror » et les sinueuses vocalises sur il sangue sont chez Bartoli moment théâtral d’une puissante intensité : voici ouverte sous nos yeux une scène à la fois théâtrale et intime de totale hallucination, soutenue par un orchestre puissamment dramatique. La manifestation la plus pure et dès lors la plus profonde de l’art de la tragédie, de l’art d’une tragédienne. De paisibles pépiements d’oiseaux font écho aux premiers pour ouvrir le récital sur Haendel et résonne « Augelletti, che cantate » (Air d’Almirena dans Rinaldo). Un “Lascia la spina cogli la rosa” espéré, chanté sur le souffle, dans un tempo très étiré, accentue à l’excès peut-être la douleur de la page. L’air de la magicienne Melissa dans le rare Amadigi conclut le programme annoncé : “Mi deride… Destero dall’empia dite”, terrible invocation aux Enfers s’orne d’un duel entre trompette et hautbois en écho, le transformant en morceau de bravoure. Cecila Bartoli a l’art d’en montrer toute la noirceur et, participant à l’émulation, d’en dévoiler souriante l’artifice ludique.
Les bis offrent d’abord une chanson qui rompt avec la cohérence du récital : « Non discorda di mé » de De Curtis n’ajoute rien à la gloire de Cecilia. Mais pour conforter sa légende de virtuose généreuse, flamboyante, A facile vittoria d’Agostino Stefani se prolonge par un duel avec le trompettiste, ouvrant sur des reprises vocales et une esquisse de Sumertime jubilatoires.
Mentionnons l’excellence du premier violon Enrico Casazza, fougueux et virtuose, de Jean Marc Goujon, flutiste spirituel et enivrant, du trompettiste Thibaud Robinne, expansif avec son instrument fanfaron, Pier Luigi Fabretti au tendre hautbois, du délicat et volubile claveciniste, des guitaristes subtilement harmonieux, et de chacun, et de tous. Dans ce superbe récital, moins d’éclat peut-être, mais plus d’émotion et de gravité, et Bartoli reine incontestée dans la gloire de sa maturité musicale.