Cendrillon
Paris
Conte de fée en quatre actes et six tableaux de Jules Massenet, livret d’Henri Cain et Paul
Collin, créé le 24 mai 1899 à l’Opéra-Comique de Paris.
Sept représentations du 29 octobre au 16 novembre 2023, à l’Opéra de Paris Bastille
Cendrillon : Jeanine de Bique
Madame de La Haltière : Daniela Barcellona
Le Prince charmant : Paula Murrihy
La Fée : Caroline Wettergreen
Noémie : Emy Gazeilles
Dorothée : Marine Chagnon
Pandolfe : Laurent Naouri
Le Roi : Philippe Rouillon
Le Doyen de la Faculté : Luca Sannai
Le Surintendant des plaisirs : Laurent Laberdesque
Le Premier Ministre : Fabio Bellenghi
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
Musique : *4*
Scénographie : *5*
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En ces heures assombries par les guerres, il est tentant de s’envoler par les beaux pays bleus », comme nous y invite l’épilogue de Cendrillon. Et avouons qu’en cette soirée de la Toussaint, l’Opéra de Paris aura réuni la plupart des conditions nous permettant ce voyage… Riche idée, d’abord, que de reprendre le spectacle créé l’an dernier par Mariame Clément, tant sa mise en scène marie avec bonheur humour, intelligence et merveilleux. Certes, l’habile livret de Cain ouvre, en lui-même, bien des perspectives, mais Clément a su habilement doser, dans sa lecture, analyse sociologique et respect de la féérie. L’action, qui a été située au temps de la création de l’œuvre, se noue dans la demeure deMadame de La Haltière, occupée par une énorme machine tenant de la locomotive comme de la centrale thermique – et dont on se demande d’abord ce qu’elle fait là. On nous en démontre vite l’utilité en y faisant entrer un chat, qui en ressort affublé d’une robe à froufrous : c’est une machine à fabriquer des princesses – toutes semblables, avec leur volants rose bonbon et leur permanente jaunâtre ! Le procédé semble d’abord lourd maiss’avère fort bien exploité, par exemple lors de la scène du bal, hilarante : Cendrillon, qui, à la suite de ses sœurs, a subi la métamorphose, tente d’abord d’imiter les autres pécores,semblablement attifées, avant de jeter aux orties sa crinoline à panier pour boire du champagne au goulot et danser avec le prince, qui lui a offert ses baskets – sans se départirde son élégance, alors que ses sœurs, toujours habillées, se vautrent dans la vulgarité.
Au message féministe, plus rieur que dogmatique, se mêlent les clins d’œil historiques : le château du prince est un jardin d’hiver coiffé d’une verrière semblable à celle du Grand Palais (qui venait d’être édifié en vue de l’Exposition universelle de 1900) ; le roi est grimé en Bismarck (qui décède en 1898) et la fée, qui sort de la machine, est évidemment celle de l’électricité (on allume à l’époque les premières lampes à arc), à la fois scintillante et autoritaire (elle mène son monde…à la baguette), surnaturelle et triviale (elle bouge comme une meneuse de revue). Si les références drolatiques abondent, la poésie s’exprime à travers les délicieux encarts en mouvantes ombres chinoises, qui annoncent les tableaux à la façon des films de Méliès, contemporains. Enfin, l’inquiétude et l’angoisse naissent, au second tableau de l’Acte III, lorsque le plateau se soulève, montrant les dessous de la machine : une colonie de fûts suintants (représentant l’incommode « haie de trèfle »), dont l’un recèle un coeur sanglant.
La très fine direction d’acteurs (le chœur se plaignant de Madame, les princesses essayant la pantoufle !) achève de rendre ce spectacle irrésistible.
La distribution vocale se révèle également des plus soignées. Excellents seconds rôles : le Doyen de la Faculté se montre aussi hilarant que percutant, le Roi du vétéran Philippe Rouillon plein de tendre sollicitude, les Six Esprits (sanglés dans des costumes évoquant volontairement les spectacles de patronage) réellement incarnés et les deux sœurs pétulantes à souhait (même si l’on regrette qu’un masque anti-Covid dissimule leurs expressions faciales).
La voix de Laurent Naouri a bien perdu quelques harmoniques, mais la projection est intacte, le verbe ciselé, le personnage magistralement dessiné. Daniela Barcellona, graves et aigus d’airain (le médium est plus sourd), s’empare avec gourmandise de son rôle d’ogresse, dont elle fait un show permanent. La partie du Prince, enfin rendue à sa tessiture de falcon, semble avoir été écrite pour l’Irlandaise Paula Murrihy, idéalement androgyne, somptueuse dans le legato comme dans les éclats passionnés. Lors des duos, le mariage de cette voix mate, centrale, avec celle, plus contrastée et vibrée, de Jeanine de Bique créée une voluptueuse iridescence. Excellente comédienne, femme ravissante, la soprano caribéenne, avec ses couleurs ombrées, son chant souple et virtuose (superbe contre-Ré au début de l’Acte III) camperait une Cendrillon de rêve – si on la comprenait davantage. Le même problème de diction se pose pour la fée étincelante, incisive de Caroline Wettergreen, à laquelle ne manque aucune note piquée mais dont l’accent scandinave est franchement gênant (on finit par se demander s’il y a eu un répétiteur de français, sur cette production). Si, à son habitude, le Chœur de l’Opéra de Paris mérite tous les éloges, et si l’Orchestre n’est pas avare de sonorités capiteuses (magnifiques clarinettes, cor anglais, violoncelles), il nepeut empêcher qu’on s’interroge sur le choix de l’immense vaisseau de la Bastille pour une œuvre créée à la Salle Favart (alors flambant neuve). La direction prosaïque et peu architecturée de la Canadienne (d’origine ukrainienne) Kerri-Lynn Wilson, convaincante dans les moments dramatiques, plus discutable dans les scènes de genre ou le pastiche du style rococo, enfonce le clou : la Cendrillon de Massenet gagne à être traitée en bijou précieux plutôt qu’en… grosse machine.