Cendrillon au pays des Ziegfeld Follies

À Toulouse, Il était une fois…

Direction musicale Michele Spotti, Mise en scène, décors, costumes et chorégraphie Barbe & Doucet, Angelina Adèle Charvet, Don Ramiro Levy Sekgapane, Dandini Florian Sempey, Don Magnifico Vincenzo Taormina Alidoro Alex Rosen, Tisbe Julie Pasturaud, Clorinda Céline Laborie. Orchestre national du Capitole, Chœur de l’Opéra national du Capitole, Pianoforte continuo Robert Gonnella.

Représentation du 07/04/2024

Musique ****
Mise en scène ***

À Toulouse, Il était une fois…

Cendrillon au pays des Ziegfeld Follies

Les spécialistes ont dénombré en France 38 récits narrant l’histoire de Cendrillon, qu’on nomme aussi parfois Cendron ou Cucendron ou Cendrassou. Toutes ces appellations contiennent la racine « cenere » qui signifie « cendre ». Et en Italie, l’héroïne devient « La Gatta Cenerentola », La Chatte des cendres. Cenerentola, c’est le titre de l’opéra bien connu de Rossini composé en 1817. L’origine de ce conte remonte sans doute à l’Antiquité et on en trouve des versions partout en Europe, en Asie, au Moyen-Orient. Les invariants sont bien connus : une héroïne persécutée, affectée aux travaux ménagers les plus humbles ; une transformation magique ; un Prince amoureux à la recherche de la belle inconnue (qui a souvent égaré une de ses chaussures) ; la reconnaissance et le mariage. Ce sont Perrault et les frères Grimm qui ont laissé les versions les plus célèbres. Le livret de Jacopo Ferretti que Rossini met en musique diffère quelque peu. Pas de chaussure perdue, mais un bracelet offert. Pas de fée pour inventer robe somptueuse et carrosse d’apparat, mais un bon génie Alidoro. Le père d’Angelina – notre Cendrillon – Don Magnifico – est un personnage bouffon, haut en couleur, mais pas vraiment sympathique. Enfin, le Prince (Don Ramiro) et son valet Dandini intervertissent leur rôle et leur condition pour éprouver tous les personnages. Les adaptations se prêtent donc à bien des changements et des fantaisies. Dès lors, les mises en scène de l’opéra s’autorisent, tout en gardant la trame, les dialogues… et la musique, quelques transpositions. Ainsi de celle signée Barbe et Doucet présentée à Toulouse en ce doux printemps.

Les photos du spectacle parlent d’elles-mêmes. Aucun palais princier somptueux ; aucune demeure avec sa cheminée à décrasser. Mais le cabaret de Don Magnifico, ses coulisses, sa scène. Nous sommes à New-York dans les années 30 au temps de la prohibition et des productions théâtrales créées par Florenz Ziegfeld à Broadway dans les années 30. De son rôle d’habilleuse exploitée au triomphe somptueux de sa générosité, on suit l’itinéraire et les transformations d’Angelina dans l’envers de l’univers clinquant du music ’hall. Et c’est une débauche de couleurs, de costumes kitsch et drôles, joliment clinquants, de lumières pimpantes, d’escaliers de revues musicales dont la vidéo mise en ligne par le Capitole donne un aperçu significatif.

Le public conquis fait un triomphe à cette production et ne ménage pas ses rires et ses applaudissements. Le critique, un peu lassé des habituels déhanchements sur les rythmes rossiniens, est par moments plus circonspect, tout en reconnaissant une efficacité certaine au spectacle et un climat joyeux de bon aloi. Le seul réel reproche – mais le livret boiteux en est en grande partie responsable – se concentre sur le déséquilibre entre le serio mélancolique autour des deux amoureux trop sacrifiés et le caractère bouffon prononcé des autres personnages.

Musicalement la fête est totale, grâce d’abord à la direction de Michele Spotti. Le chef italien, maitre d’œuvre d’un Guillaume Tell à Marseille sensationnel, fait de cette musique un feu d’artifice permanent, avec ses fusées, ses grandes roues, ses éblouissantes cascades, ses accélérations phénoménales qu’un orchestre du Capitole survolté assure avec panache. Ça pétille, ça crépite, ça roucoule, ça explose, ça étincelle, ça fuse, ça jaillit. Et quelle tenue cependant, quelle rigueur dans les crescendi, quelle souplesse dans l’accompagnement des ensembles. Un très grand chef de fosse assurément que s’arrachent désormais les grandes scènes internationales (Vienne, Dresde, Tokyo, Munich, Berlin, Rome, Naples, Paris sans oublier l’Opéra de Marseille dont il est directeur musical). Cosa rara, le jeune chef est salué au retour de l’entracte par une ovation enthousiaste. Au continuo, Robert Gonnella est comme toujours un accompagnateur attentif, alerte et subtil musicien. Les Chœurs, masculins, sont ceux du Capitole : c’est assez dire leur qualité.

Au sommet de la distribution l’Angelina d’Adèle Charvet. La jeune mezzo colorature française conduit une carrière remarquable. Nous l’avons applaudie plusieurs fois dans Mozart, Rossini (Rosine) ; dans Mélisande,  – oui, une mezzo aussi – elle a fait pleurer des pierres. Son dernier enregistrement autour de compositeurs du théâtre de Vivaldi à Venise Teatro San Angelo est une merveille d’esprit, d’alacrité, de virtuosité. Grâce à une technique très éprouvée, un medium nourri, des aigus bien conduits, sa Cenerentola, pourtant annoncée souffrante – l’attaque sournoise des pollens ! – a de l’abattage et de la verve. Elle donne aussi tout son sens au sous-titre de l’opéra Le Triomphe de la Bonté : ainsi le grand rondo final, assuré avec brio, ne fait pas que briller ; il dispense une générosité et une joie de chanter communicative.

À ses côtés, le Prince de Levy Sekgapane – premier prix du Concours Operalia 2017 -. Le ténor sud-africain, spécialiste des rôles rossiniens, a chanté Lindoro sur plusieurs scènes. La voix est ductile, élégante, la ligne de chant raffinée. Engoncé dans un uniforme de groom peu seyant, il n’est pas gâté par la mise en scène qui édulcore sa prestation vocale. Injustement. « Si, ritrovarla io giuro » prouve s’il en était besoin la virtuosité et l’autorité d’un ténor accompli dont le premier duo avec Angelina exprimait la sensibilité. Son compère Dandini possède la faconde et la jovialité de Florian Sempey, le plus prisé des Figaro (Rossini) d’aujourd’hui. L’allant, la vis comica, le sens du théâtre vont de pair avec une voix souple, puissante, véloce qui rayonne et réjouit. Vincenzo Taormina est un modèle de drôlerie dans un rôle dont il connait tous les rouages, toutes les roueries. « Sia qualunque delle figlie » témoigne d’une maitrise du souffle époustouflante et d’un art bel cantisto buffo qui nous laisse sans voix (mais pas lui !). Le duo avec Dandini témoigne de la maitrise des deux chanteurs à servir le prestissimo rossinien.  Alex Rosen en Alidoro apparait solidement bienveillant et bien chantant et les deux chipies s’en donnent à cœur joie dans des numéros de mégères drôlissimes qui leur valent aux saluts un succès mérité. Redonnons leur nom : Julie Pasturaud et Céline Laborie. Les grands ensembles (quintette, sextuor) qui émaillent l’œuvre s’avèrent à la fois millimétrés et pleins de feu.

Une production tonique, enlevée, festive où Rossini triomphe par l’art conjugué d’un chef brillant, d’un orchestre alerte, d’une distribution de haut niveau et d’une mise en scène haute en couleurs.  

Jean Jordy

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