© Patrice Nin
Les opéras de Haendel, Olivier Rouvière. Van Dieren éditeur. Paris 2021, 360 pages.
Ce vade-mecum justifie, stimule, accroît notre amour pour Haendel.
Bien que nous écrivions pour le même site, Olivier Rouvière et votre serviteur ne se connaissent pas. Cette confraternité lointaine suffirait-elle à nous interdire de parler de son livre ? Priverons nous les lecteurs d’Opéra Gazet de l’expertise de notre collègue, spécialiste incontesté de l’opéra baroque et de Haendel en particulier ? Certes pas. D’autant plus que ce guide est passionnant et hautement informé.
Nous adhérons sans réserve à la profession de foi initiale : «… je crois sincèrement que plus on en sait sur un objet, plus on a des raisons de l’aimer ». Elle vaut pour tout amateur d’opéra. On peut certes apprécier une représentation d’un opéra de Haendel (ou de tout autre) sans rien connaître par exemple des circonstances de son écriture, voire de son sujet. Mais combien l’on apprécie davantage quand on en sait toujours plus ! N’est-ce pas ce que cherchent ceux qui visitent Opéra Gazet ?
L’auteur prend bien soin d’abord de justifier son corpus et sa délimitation. Il étudie les « quarante opéras écrits par Haendel entre 1705 et 1741 ». Le lecteur trouvera dans la seconde partie de l’ouvrage une fiche sur chaque œuvre par ordre chronologique, comprenant une contextualisation scandée en huit périodes, un résumé de l’intrigue, une étude au fil de l’œuvre : celle sur Alcina par exemple ne cache rien des faiblesses du livret et de l’inventive splendeur musicale, celle sur Rodelinda souligne la parfaite adéquation entre drame et musique. Quel spectateur un peu exigeant pourrait se passer de cet apport décisif et suffisant avant d’aborder une représentation ou une écoute ?
Le terme du sous titre vade-mecum, bien que trop humble, se justifie pleinement. En pédagogue éclairé, en passeur éclairant, Olivier Rouvière compose à la fois un guide d’écoute précieux pour l’opéra retenu et un guide de voyage dans l’univers haendélien, tel que le propose la première partie. Ses prétendues « généralités » s’avèrent fourmiller d’informations précieuses ou malicieuses. Ainsi d’un « portrait de Haendel en dompteur », – entendez dompteurs de chanteurs, aux desiderata de star – ou d’un « parfum de la madeleine » sur les larcins, emprunts, échos et réminiscences dont regorgent les partitions de notre inventif et génial opportuniste. De même les pages intitulées « Humour et second degré » raviront par la précision des exemples et la lumière qu’elles jettent sur une part majeure de l’art du musicien.
Les commentaires de scènes d’Alessandro ou de Tolomeo brillent ainsi par leur finesse. Abondent aussi les évocations cocasses ou curieuses des castrats et cantatrices, de leurs talents singuliers, de leurs exigences, de leur fidélité évolutive au compositeur. L’anecdote d’un Haendel suspendant dans le vide la Cuzzoni qui avait refusée un air trop sage est fort réjouissante. L’analyse du musicologue dépasse cependant les simples récits drolatiques : « Au fil de sa carrière, [Haendel] se montre de plus en plus doué pour plier son art aux moyens de ses chanteurs, et la variété même de ses chanteurs lui inspire des « recettes » toujours plus ingénieuses. » A la lecture de notre confrère, émergent les raisons qui nous font aimer le Saxon, sa liberté, sa verve créatrice, moteurs de son génie et de notre joie à l’écouter.
Loin des images romantiques des compositeurs habités par leur Grand Œuvre, « Haendel fait avec ce qu’il a sous la main – chanteurs, textes, auteurs, occasions – et c’est ce jeu d’adéquation avec plusieurs variables qui semble surtout le passionner ». Le livre fait vivre, presque au cas par cas, un musicien face aux contraintes multiples, toujours mobile, « soucieux d’expérimenter sans cesse », de se renouveler, d’innover, de réécrire, de s’adapter – notamment aux caractéristiques de chaque chanteur, flattant ici vélocité et virtuosité, là l’expression des affects. Loin de chercher à fonder une « réforme », le compositeur exigeant et intelligent meneur d’hommes … et de femmes sait faire épanouir les potentialités de chacun… et de son génie propre, où l’humour, voire l’autodérision côtoient la profondeur tragique, l’insondable mélancolie. Une discographie choisie avec goût, une vidéographie de bon aloi complètent judicieusement le parcours.
On ajoutera sans surprise qu’Oliver Rouvière sait écrire dans une langue française châtiée, d’un classicisme réconfortant. Et son éditeur a conçu un livre à la typographie sobre et élégante, de belle facture, d’un raffinement trop rare.
Accessible au profane, utile à l’érudit, indispensable au néophyte qui découvre un opéra de Haendel, ce livre s’impose dans toutes les bibliothèques au rayon Musique/ Opéra. Rien de tel qu’un passeur passionné pour exprimer l’essentiel et l’essence même d’un compositeur et nous aider à aimer.
Vous ne pouvez aimer que ce que vous savez !! Plus nous en saurons sur le maître baroque immortel Haendel et le brillant Rudolf Noureev, plus les gens apprendront à aimer son héritage dans la musique et le ballet.