Le Voyage dans la lune
Opéra-féérie en quatre actes de Jacques Offenbach sur un livret d’Eugène Leterrier, Albert Vanloo et Arnold Mortier d’après Jules Verne, créé à Paris le 26 octobre 1875. Cinq représentations, du 26 décembre au 4 janvier 2022 à l’Opéra de Marseille.
Vu le 26 decembre 2021 par Olivier Rouvière.
Direction musicale : Pierre Dumoussaud ; Caprice : Violette Polchi ; Fantasia : Sheva Tehoval ; Flamma : Ludivine Gombert ; Popotte : Cécile Galois ; V’lan : Christophe Lacassagne ; Quipasseparla : Kaëlig Boché ; Cosmos : Erick Freulon ; Microscope : Eric Vignau ; Cactus : Christophe Poncet de Solages ; Orchestre et Choeurs de l’Opéra de Marseille ; Décors et costumes : Malika Chauveau ; Chorégraphie : Anouk Viale ; Lumières : Nathalie Perrier ; Mise en scène : Olivier Fredj.
Musique : ***3***
Scénographie : ***3***
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26 décembre 2021, Marseille : fièvre lunaire
Il y a un obus habitable, un volcan faussement éteint, un ballet de flocons (et bonshommes) de neige parodiant Le Lac des cygnes, des femmes qu’on vend au marché, une compétition de gros, un palais de verre, des médecins contagieux, des pommes au pouvoir érotique : c’est Le Voyage dans la lune, opéra-féérie en quatre actes et vingt-trois (!) tableaux d’Offenbach, créé au Théâtre de la Gaîté le 26 octobre 1875 (un an et demi après la seconde version d’Orphée aux enfers, quatre mois après la mort de Bizet).
Parrainée par une tripotée d’opéras français (Avignon, Clermont, Compiègne, Massy, Tours, Rouen, etc.) cette coproduction avait d’abord été donnée à Montpellier – mais sans public. Celui de Marseille, lui, deux ans après un épatant Barbe-bleue, trépigne de joie devant un spectacle qui parle d’échappée dans le ciel et d’amour trouvé dans l’errance ! On ne dira pas que la mise en scène est tirée au cordeau – ce n’est pas le mot qui convient et on patine même un peu dans la semoule durant la seconde partie. Mais si les interprètes ne savent pas toujours exactement où se placer, si la chorégraphie est parfois paresseuse, tous semblent terriblement s’amuser et la folie douce d’Offenbach, avec son côté bon enfant et son surréalisme, est bien au rendez-vous.
La soirée débute sur Terre, dans un camaïeu de noir, gris et blanc, un univers de turbines, écrous, roues dentées presque inquiétant, au carrefour de Jules Verne et du Fritz Lang de Metropolis. Lorsqu’on atterrit au pays des Sélénites, les toiles peintes se voient peu à peu colorisées, tels des chromos de Méliès (lui-même auteur d’un fantastique Voyage dans la lune) – d’abord par touches (du bleu, du jaune, du mauve), puis avec de plus en plus de prodigalité : palais de glace, salon de coquillages, visions psychédéliques et fruits monstrueux envahissent l’espace. Les délirants costumes sont au diapason : le roi des Sélénites est une grosse méduse, sa femme une éponge hirsute. Et comme, sur la Lune, nous dit-on, les femmes ne servent qu’à trimer ou à faire joli, les voici transformées en abat-jours, en pelotes de laine, en gants de vaisselle ou en pots de fleur !
Révélation de la soirée
Le chœur des desperate housewives, « Ne jamais rien faire », mené tambour battant par Ludivine Gombert (Flamma), casse la baraque. La princesse de la lune, une jeune fille hardie et féroce, dégaine ses vocalises rageuses comme des salves de revolver : Sheva Tehoval apparaît comme la révélation de la soirée, aussi désopilante que vocalement précise. Ayant croqué dans une pomme, elle devient résolument amoureuse du prince de la Terre, un rôle travesti composé pour l’égérie et maîtresse d’Offenbach, Zulma Bouffar (pour qui a aussi été écrite La Vie parisienne) : si l’émission de Violette Polchi gagnera à s’ouvrir et à perdre en nervosité, la soprano campe avec justesse ce Caprice qui ne peut tenir en place. Remplaçant Matthieu Lécroart, souffrant, au pied levé, Christophe Lacassagne et son chant délicieusement désuet confèrent au débonnaire roi V’lan une irrésistible douceur paternelle, tandis que Kaëlig Boché emporte avec entrain les couplets du répugnant Quipasseparla, un vendeur de femmes. Si les autres interprètes ont été moins bien servis par Offenbach, les deux Eric (Vignau et Freulon) n’en croquent pas moins des figures hautes en couleurs. Stimulant sans temps morts un orchestre qui se chauffe peu à peu (dans une ouverture où l’on entend, au cor, le thème de ce qui deviendra l’air « Scintille diamant » des Contes d’Hoffmann), Pierre Dumoussaud privilégie la douceur, la tendresse et les iridescences d’une partition assez symphonique, qui culmine dans un ravissant « duo de la pomme » et deux grands ballets. Des chœurs très engagés (bien qu’un peu confus à cause du masque) et une poignée de danseurs fort décoratifs apportent une dernière touche à cette parade parfois foutraque mais tonifiante.
Que ceux qui ont raté ce joli rendez-vous se consolent : le Palazzetto Bru Zane, grâce à qui la partition a été restituée, promet une prochaine parution de l’intégrale…