Natalie Dessay. Sempre libera.

Natalie Dessay

Sempre libera

Warner Classics rend un hommage magnifique et mérité à la carrière de Natalie Dessay « A l’Opéra » en proposant un coffret et un triple CD. Le coffret comprend 33 CD de récitals et enregistrements complets d’opéras et 19 DVD. Pour les moins gourmands, le label réunit en un triple disque intitulé « A l’Opéra » une anthologie de ses plus beaux rôles. Cette double parution est l’occasion pour nous  d’évoquer cette grande artiste, toujours en activité, pleine de projets, mais qui fréquente désormais avec un répertoire différent d’autres scènes théâtrales. Pour le plaisir renouvelé d’un public diversifié et élargi.

Nous étions présents en octobre 2013 quand Natalie Dessay faisait ses adieux non pas au chant, ni à la scène, mais au monde de l’opéra, et comme elle dit avec sa lucidité habituelle, à une sorte de Carmel où elle avait accepté d’entrer comme en religion et qu’elle a quitté de son plein gré. Sur la scène du Capitole de Toulouse, elle chantait sa dernière Manon dans une mise en scène inégalement aboutie de son complice des grands jours de gloire Laurent Pelly.

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Nous étions là encore quand quelques mois plus tard sur une autre scène toulousaine, elle proposait un récital Michel Legrand, plein de grâce, d’humour, de légèreté et de gravité. Et les souvenirs affluaient, ceux de ses Lucia déchirantes, de ses Reine de la Nuit étincelantes, de ses Fille du Régiment intrépides, de ses élégantes Ophélie, de ses Zerlinetta stratosphériques, de sa Violetta consumée de passion et de tant d’autres qu’elle avait portées au plus haut sommet de l’art lyrique et de l’émotion. A l’occasion de la somme publiée, les hommages se multiplient et cet unanimité nous irrite. Non parce qu’il célèbre enfin sans égratigner une des plus grandes cantatrices françaises, depuis Crespin la plus grande sans doute, mais parce que nos confrères amnésiques préfèrent oublier les critiques qu’ils avaient formulées sur le personnage Dessay et parfois sur ses performances vocales. Nous, nous n’avons pas changé. Dessay a été et reste une artiste profondément attachante, audacieuse, douée mais travaillant comme une damnée, spontanée mais fouillant ses rôles avec acharnement, brillante et grave à la fois, usant de sa notoriété pour dénoncer un univers plein d’embûches et souvent factice.

Natalie Dessay: Lucia di Lammermoor (Mad Scene). Une combinaison sublime de chant et de théâtre.

Elle a agacé, irrité, déplu, mais que cette franchise, que cette liberté avaient du bon ! Sempre libera, chante Violetta. Sempre libera est Dessay.

Dessay c’est d’abord une musicienne. Avec elle, les vocalises de la Reine de la Nuit ou celles de Constance dans L’Enlèvement au sérail sont avant tout de la musique tout autant que le « Ach, ich fühl’s » de Pamina. Technicienne hors pair, dotée d’un souffle infini – ça se travaille aussi le souffle ! – , Dessay possède une voix d’une pureté magnifique, cristal de roche mais en fusion si on peut tenter l’oxymore, ainsi parfois fragile, mais toujours dynamique et mélodieuse. Et cette voix « naturelle », elle a voulu et su la nourrir, l’étoffer, la velouter, la colorer, la diaprer, l’élargir, en faire une alliée, une amie, l’apprivoiser, la dorloter après avoir eu peur de la perdre. Pas au point de chanter Tosca, rêve qu’elle a toujours su inaccessible, mais qui lui a permis d’aborder Violetta et avec quelle passion.

Dessay chanteuse est aussi une grande comédienne. Avec elle, le chant est toujours d’essence théâtrale, et donc dramatique et psychologique. Ses détracteurs lui ont reproché (mais que n’a-t-on pas reproché à Dessay ? ) de « trop jouer ». La critique tombe à plat.

Elle transformait des poupées mécaniques virtuoses en héroïnes de chair et de sang. En ce sens  c’est une Olympia qui sur scène deviendrait Violetta, incarnant une métamorphose, celle de l’abstraction parfaite en être souffrant, aimant, vivant. Ces rôles de coloratures qui n’étaient pas toujours les plus riches, les plus complexes du répertoire féminin, elle même en éprouvait la superficialité, la minceur. Elle souffrait de leurs limites, refusant à 40 ans de jouer plus longtemps les Ophélie, les filles du régiment qui ne veulent plus être leur mère, les rossignols éthérés. De cela aussi on lui sait gré. Depuis Dessay ces personnages, même mièvres parfois, accompagnent nos vies, ardentes, sensuelles, charnelles.

Et Lucia, belle et grave figure,  nous apparaît comme un de ses rôles les plus accomplis. A Bastille, son air d’entrée charmait, sa scène de la folie bouleversait. Jamais, quel que fût son Edgardo et quel que fût Enrico, la diva n’était diva, recherchant la lumière et le triomphe personnel. La défense du personnage primait. Et l’expression dramatique, l’échange et l’émotion. Dans sa stupéfiante Violetta d’Aix en Provence, certains, Beckmesser sans empathie, ont pointé les faiblesses, ont raillé ses failles. C’était ne rien comprendre à ce qui se jouait. Elle n’avait pas toute la voix, toutes les voix de la Traviata. Mais elle en exprimait tout le drame, les blessures, les déchirures, les nausées, les humiliations que l’amour du chant et de la scène portait jusqu’à la consomption totale. Car elle aussi avait connu les doutes, les peurs (de ne plus chanter), les blessures.

Natalie Dessay: La Traviata (« Sempre libera »). Festival d’Aix-en-Provence, 2011.

Quelle comédienne-chanteuse est capable avec ce chic de briller au Cours-la-Reine dans la Manon de Massenet et de se rouler dans les bras de Villazon dans une scène de Saint Sulpice brûlante après un « Enfin » dont la puissance sensuelle provoquait le frisson ? Une seule, Dessay. Où a-t-on vu Zerbinette virtuose certes, mais plus mutine, coquette, spirituelle, plus fraternelle, plus sororale consolatrice ? Et on n’a rien dit de ses Haendel de feu, de ses autres Mozart de charme, – son disque des « Airs de Mozart », absent de la compilation, est un chef d’œuvre – de ses Bellini à pleurer, de sa Lakmé mystérieuse, de sa trop rare Mélisande, de sa Juliette adolescente, de son unique Pamina, de sa  désopilante Eurydice  chez Offenbach (le duo de la mouche avec son époux Laurent Naouri est anthologique). Pour tout cela et plus encore, merci, merci Madame.

Jean Jordy
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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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