Les Contes d’Hoffmann. Paris.

 Les Contes d’Hoffmann – Offenbach

Bernheim – Hoffmann au sommet des Contes

Opéra Bastille Paris, représentation du 03/12/2023

Eun Sun Kim Direction, Robert Carsen Mise en scène, Orchestre de l’Opéra national de Paris, Chœurs de l’Opéra national de ParisBenjamin Bernheim Hoffmann, Pretty Yende Olympia, Antoinette Dennefeld Giulietta, Rachel Willis-Sorensen Antonia, Christian Van Horn Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Miracle, Angela Brower La muse, Nicklausse, Leonardo Cortellazzi Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz, et bien d’autres

Scénographie / mise en scène 5 étoiles 
Musique / Interprétation 4 étoiles

 Les Contes d’Hoffmann

C’est la huitième reprise de cette production créée en mars 2000. Couronnée continûment de succès, tant public que critique, elle n’a pas pris une ride tant elle s’avère intelligente, fluide et belle. Seules les distributions varient, conférant à chacune occasion son lot de satisfactions ou de déceptions. Celle-ci n’échappe pas à la règle, mais elle consacre surtout le ténor français Benjamin Bernheim, en tous points exemplaire dans le rôle-titre.

La grande réussite de Robert Carsen, maître d’œuvre de la dramaturgie, est sa parfaite lisibilité. Le récit des trois histoires d’amour malheureuses inspirées de trois contes d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, l’écrivain romantique allemand (1776 – 1822),  se fait sous le signe des illusions, du leurre, bref du théâtre. Fou de Stella, cantatrice adulée (Prologue), le héros, Hoffmann lui-même, se lance dans l’évocation de ses précédentes amours : Olympia s’avère une poupée mécanique (acte I), Antonia meurt de sa passion pour le chant (acte II), Antonia, la courtisane vénitienne lui vole son reflet (acte III). Seule la Muse et la création peuvent assurer au Poète la consécration et une forme de bonheur (Epilogue). Le mise en abyme – théâtre dans le théâtre – donne lieu à des inventions scéniques magistrales qui enrichissent la cohérence du projet.

LES CONTES D'HOFFMANN
Emilie Brouchon. Opera national de Paris. Les Contes d'Hoffmann.

Le décor fugace d’un passage de Don Giovanni où triomphe Stella, le masque, le déguisement et la « machinerie » de la poupée propres à duper le trop crédule Hoffmann, l’admirable double lieu – la fosse d’orchestre et la scène théâtrale que magnifie la vision de la mère d’Antonia, vrai fantôme venu d’outre-monde, tel le Commandeur mozartien, le double orchestre,  celui bien réel de Bastille, celui factice et muet du décor(acte II), la réplique de la salle de l’Opéra Garnier, du rideau rouge, les masques vénitiens et le motif du reflet dérobé de l’acte III constituent autant de variations du même thème (les pièges de l’illusion) et le sens de l’itinéraire de ce Don Juan abusé par les apparences. Manipulé, trompé, décillé, il sera à même de renoncer aux griseries factices et d’’affronter la dure et nécessaire épreuve de la création. Le Diable en personne, multiplié en quatre figures, avatars du Méphistophélès de Gounod, construit ce jeu de dupes, véritable Rake’s Progress, qui transformera Hoffmann en vrai poète. Pour Carsen et ses acolytes (décors, costumes, lumières), se construit une ligne claire, la « solide charpente dramatique » (selon l’expression d’un musicologue) sans laquelle l’opéra inachevé et éclaté d’Offenbach manque de force et de sens. Mission accomplie de main de maître.

LES CONTES D'HOFFMANN
LES CONTES D'HOFFMANN. Emilie Brouchon. Opera national de Paris. Les Contes d'Hoffmann.

3 Le rôle d’Hoffmann est écrasant. Présent de bout en bout ou presque, il doit incarner l’amant déchu noyant ses chagrins dans l’alcool, l’amant grotesque seul dupé par une mécanique grossière, l’amant éperdu de passion et de douleur, l’amant un brin cynique de l’irrésistible courtisane. Et à chaque stade de son évolution, il sera lyrique, burlesque, ironique, naïf, enfiévré. Relevant tous les défis à la fois dramatiques et vocaux, Benjamin Bernheim se confirme comme le meilleur Hoffmann de sa génération. La prononciation de la langue française est à la fois élégante et mordante, toujours limpide, la voix généreuse, rayonnante et riche de mille nuances, la ligne de chant noble, souple, raffinée, le jeu scénique convaincant, simple et efficace, « naturel ». Le physique est celui d’un jeune premier – et le sourire aux saluts rappelle combien l’homme est attachant-. Les échanges avec les partenaires témoignent de sa claire empathie, de son souci de fusion harmonique : jamais il ne cherche à briller. Après son récent succès dans le Roméo de Gounod, Benjamin Bernheim confirme sa place éminente dans le panthéon des ténors français.

LES CONTES D'HOFFMANN
Emilie Brouchon. Opera national de Paris. Les Contes d'Hoffmann.

A ses côtés, les partenaires tirent plus ou moins bien leur épingle du jeu. Souveraine Antonia de l’éclatante et émouvante Rachel Willis-Sorensen qui fait ses débuts à Bastille, Giulietta de vamp fascinante d’Antoinette Dennefeld convainquent pleinement, au même titre que Sylvie Brunet-Grupposo, apparition grandiose de la mère d’Antonia. Evidemment, dans le   rôle d’Olympia, ici poupée burlesquement lubrique, Pretty Yende et ses notes virtuoses triomphent. Mais pour notre plaisir, manquent l’abattage, la folie chic, finement déjantée d’une Natalie Dessay experte es parodies de divas.  Dans son quadruple rôle, Christian Van Horn, doté d’une voix sûre et profonde joue les diables avec maitrise, autorité et ironie. Offrir à Angela Brower, délicate mozartienne, subtile Dorabella, fringant Cherubino en studio ou dans des salles de moindre ampleur, le rôle de la Muse et Nicklausse relève de l’erreur de casting. Inintelligible et inaudible, elle plombe la Barcarolle, elle annule les effets puissants du final grandiose « Des cendres de ton cœur ». La chanteuse a bien d’autres qualités à faire valoir dans d’autres personnages. Les comprimari et les Chœurs s’avèrent efficaces à bien des égards. A la tête des forces orchestrales magnifiques de l’Opéra de Paris, la cheffe Eun Sun Kim insuffle à la partition toutes les impulsions nécessaires, du drame au cocasse, du sensuel au lyrique. Mais le frisson ne vient pas d’elles : il vient de l’efficacité d’une mise en images fantastique à tous les sens du terme et de la splendeur du chant de Benjamin Bernheim, dont la seule présence impose le 4 étoiles à notre appréciation.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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