Lawrence Brownlee et Levy Sekgapane au sommet du bel canto masculin

  Lawrence Brownlee et Levy Sekgapane

Récital du 09/05/2022 Capitole Toulouse : Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi

Soirée chaleureuse, enthousiasmante, où deux ténors complices font naître l’admiration, l’émotion et la joie :
« Cantiam, gradita è la vita »

Musique : 5*

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Lawrence Brownlee et Levy Sekgapane

Récents Don Ramiro (La Cenerentola) à Vienne et Lindoro (L’Italiana in Algeri) à Zurich, prochain Platée à Paris, futur Rodrigo dans Otello et Comte Ory aux USA, Lawrence Brownlee fait une halte à Toulouse pour un récital bel canto exceptionnel. A ses côtés sur la plus haute marche du podium, un autre ténor rossinien, Levy Sekgapane bardé de prix prestigieux. Amis et rivaux d’un soir pour reprendre le titre d’un CD Amici e Rivali unissant Michaël Spyres et Lawrence Brownlee,  les deux chanteurs proposent un programme de mélodies et d’airs signés Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi. Moins connu que son confrère américain, Levy Sekgapane, né en Afrique du Sud en 1991 a remporté en 2015 le premier Prix Belvédère à Amsterdam,  la même année le prix Montserrat Caballé, et en 2017 le Concours Operalia. Ces deux chanteurs également virtuoses, s’apprécient, se respectent, se rassemblent… mais ne se ressemblent pas : en forçant le trait, chez l’un, la fougue de la jeunesse, la vivacité, la fantaisie, l’éclat, le chant comme jubilation ; pour l’autre l’expérience, le sens du drame, la profondeur, l’harmonie,  le chant comme partage d’émotion.

Laurence Brownlee
Levy Sekgapane ©Patrice Nin

Revient l’honneur à Levy Sekgapane d’ouvrir le récital avec un bouquet de mélodies de Rossini. Accompagné par le pianiste Giulio Zappa qui sera le complice fidèle, volubile et subtil de nos ténors, il distille d’une voix suave une frémissante Lontananza, la romance douloureuse du Sylvain (dans un excellent français) et après l’ombre, le soleil d’une Orgia enlevée où la joie de chanter le dispute à des jeux de scène d’inspiration bacchique. Lawrence Brownlee plus lyrique, plus sombre de voix, plus sobre de jeu offre un florilège de mélodies de Donizetti. Il sospiro installe un climat tragique :  la voix, pleine, chaude s’épanouit dans une passion funèbre. Me voglio fa ‘na casa, ses Tralalèra sautillants introduisent un contraste savoureux. Après une belle introduction au piano, s’épanche un Amor funesto déchiré avec une ligne de chant exemplaire où le mori final émouvant meurt avec le souffle. On retrouve le ténor sud africain avec Il tramonto signé Verdi, habité par une nostalgie qui assombrit à peine la juvénilité et l’éclat de la voix.

Laurence Brownlee
Brownlee et Giulo Zappa ©Patrice Nin
Laurence Brownlee
Sekgapane et Giulio Zappa ©Patrice Nin

Lo Spazzacamino résonne de l’appel brillant et joyeux du Ramoneur : le rayonnement de la projection et l’humour servent la fraîcheur du personnage. En contraste éclairant, plus douloureux, Brownlee, l’élégance et le charme mêmes, livre un Torna vezzosa Fillidé tourmenté. La Ricordanza si calme, si sobre ajoute à l’émotion par la concentration du chant, l’harmonie de la ligne, la subtilité du phrasé, l’articulation dramatique du poème sans pathos : c’est de toute beauté. Le récital de mélodies croisées débouche sur un duo où les voix vont s’opposer puis se mêler en une stimulante émulation. « Donala a questo cuore » extrait de Ricciardo e Zoraide de Rossini scelle un pacte de loyauté entre les héros :  les voix font assaut d’aigus, de tenues de notes et de vocalises pour mieux s’enlacer. Enthousiasmant.

Lawrence Brownlee
Lawrence Brownlee ©Patrice Nin

Après l’entracte, Levy Sekgapane livre les scène et cavatine (« Di mia patria ») extraits du rare Marino Faliero (Donizetti). Ligne de chant, douceur du timbre, tenue du souffle, virtuosité finale, variations joliment modulées soutiennent l’expression contrastée des adieux à la patrie sacrifiée à l’amour. Lawrence Brownlee dans un air du Pirata (« Nel Furor delle tempeste ») exalte les affetti alternés de l’héroïsme vaillant et de la douleur, les parant d’un charme, d’une tension dramatique et de couleurs multiples, propres au héros tourmenté. Libéré de la partition, Sekgapane ose tout dans « Tu seconda il mio disegno » ( Il Turco in Italia) : ardeur,  virtuosité, agilité, flexibilité, puissance sur les « vendetta ». Brownlee, conquérant – timbre viril, plénitude des moyens, vélocité , dynamique,  expressivité  – empoigne « D’ogni piu sacro impegno » in L’Occasione fa il ladro. Le Liberta final, tenu avec une maestria et un souffle prodigieux déchaîne des applaudissements frénétiques. Le programme se conclut par un duo extrait d’Otello : « Ah vieni, nel tuo sangue ». On peut parler de feu d’artifice vocal : mettant en scène leur combat de coqs, les deux amis rivalisent de prouesses, de notes tenues au delà de l’imaginable, de complicité, de clins d’œil au public. Avouons-le : on adore cela et on en redemande, tant le bonheur collectif est grand. Des bis somptueux partagés (en anglais et en italien) renforcent le lien de connivence avec les spectateurs enthousiastes.

Che bel canto, quelle belle, généreuse et revigorante soirée.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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