Il Ritorno d’Ulisse in patria
Monteverdi
Evohé ! Ulysse est de retour !
Dramma in musica en 3 actes / Livret de Giacomo Badoaro / Créé à Venise en 1640
Direction musicale : Emiliano Gonzalez Toro. Ensemble I Gemelli. Mise en espace : Mathilde Étienne
Ulysse : Emiliano Gonzalez Toro, Pénélope : Fleur Barron, Minerve / Fortune : Emőke Barath, Télémaque : Zachary Wilder, Eumée : Nicholas Scott, Iro: Fulvio Bettini, Antinoüs / Le Temps : Nicolas Brooymans, Neptune: Christian Immler, Eurimaque : Alvaro Zambrano, Mélantho : Mathilde Étienne, Jupiter / Amphinome : Juan Sancho, Junon / Amour : Lysa Menu, Euryclée : Alix Le Saux, Pisandre : Anders Dahlin
Toulouse, Capitole, le 28/11/2023
Musique 5 étoiles
Scénographie 5 étoiles
Emiliano Gonzalez Toro et I Gemelli
Célébrons joyeusement l’heureux responsable du succès du concert mis en espace de l’opéra de Monteverdi, Emiliano Gonzalez Toro. Il supervise l’ensemble qu’il a fondé avec Mathilde Etienne en 2018 I Gemelli, il chante le rôle-titre (et plus encore ce soir), et a conçu avec sa co-équipière, soprano et dramaturge, après Orféo en 2020, la production du deuxième élément de la « trilogie » de Monteverdi qui fait une tournée en France et en Europe. Le Diapason d’Or de l’année 2023, récompensant les plus belles réalisations discographiques, a couronné leur enregistrement de Il Ritorno d’Ulisse in patria, « un bijou de poésie, de drôlerie et d’émotion » (Mathilde Etienne).
Le spectacle musical proposé permet de vérifier la justesse de cette définition. On connaît le sujet de ce « dramma in musica » et la succession de ses événements : la douleur de Pénélope attendant le retour de son héroïque époux à Ithaque, les dieux partagés sur le sort d’Ulysse, son arrivée solitaire sur les rivages de son pays, son déguisement en vieillard, sa rencontre avec un fidèle berger (acte I), le retour de son fils Télémaque, l’impatience des Prétendants auprès de Pénélope qui, inspirée par Minerve, invente l’épreuve du tir à l’arc que remporte le héros déguisé (acte II), l’impossibilité pour la reine de reconnaître Ulysse, le pardon accordé au héros par Neptune, in fine la joie des retrouvailles (acte III).
Outre le remarquable travail musicologique, on admire la configuration choisie pour cette représentation. Les instrumentistes sont placés de part et d’autre du clavecin ô combien fragile – son accordage impose un soin minutieux jusqu’à la dernière seconde. Violaine Cochard au clavier impulse une dynamique, une vivacité qui nourrissent le continuo.
Célébrons joyeusement l’heureux responsable du succès du concert mis en espace de l’opéra de Monteverdi, Emiliano Gonzalez Toro. Il supervise l’ensemble qu’il a fondé avec Mathilde Etienne en 2018 I Gemelli, il chante le rôle-titre (et plus encore ce soir), et a conçu avec sa co-équipière, soprano et dramaturge, après Orféo en 2020, la production du deuxième élément de la « trilogie » de Monteverdi qui fait une tournée en France et en Europe. Le Diapason d’Or de l’année 2023, récompensant les plus belles réalisations discographiques, a couronné leur enregistrement de Il Ritorno d’Ulisse in patria, « un bijou de poésie, de drôlerie et d’émotion » (Mathilde Etienne).
Le spectacle musical proposé permet de vérifier la justesse de cette définition. On connaît le sujet de ce « dramma in musica » et la succession de ses événements : la douleur de Pénélope attendant le retour de son héroïque époux à Ithaque, les dieux partagés sur le sort d’Ulysse, son arrivée solitaire sur les rivages de son pays, son déguisement en vieillard, sa rencontre avec un fidèle berger (acte I), le retour de son fils Télémaque, l’impatience des Prétendants auprès de Pénélope qui, inspirée par Minerve, invente l’épreuve du tir à l’arc que remporte le héros déguisé (acte II), l’impossibilité pour la reine de reconnaître Ulysse, le pardon accordé au héros par Neptune, in fine la joie des retrouvailles (acte III).
Outre le remarquable travail musicologique, on admire la configuration choisie pour cette représentation. Les instrumentistes sont placés de part et d’autre du clavecin ô combien fragile – son accordage impose un soin minutieux jusqu’à la dernière seconde. Violaine Cochard au clavier impulse une dynamique, une vivacité qui nourrissent le continuo.
Au fond de l’espace scénique réduit restant, une simple estrade, domaine des dieux de l’Olympe, confère à leur apparition récurrente la hauteur ironique d’une puissance bien entamée. Tous les personnages se glissent sur l’aire de jeu, vêtus essentiellement de noir. Quelques accessoires sont utilisés avec une rare science de l’efficacité dramatique : une casquette enlevée et voilà le jeune garçon devenir Minerve ; une cape et un bâton transforment le héros échoué en vieillard anonyme. Quant à l’indispensable arc d’Ulysse, il donne l’occasion d’une scène burlesque : chaque prétendant s’efforce de le bander avec force grimaces et contorsions vraiment très cocasses où excellent les trois impuissants. Dans un espace aussi restreint, avec si peu de moyens, d’où vient cependant l’impression de vie que nous ressentons tous ? Du talent et de l’implication de tous les chanteurs qui constituent, en osmose avec les musiciens, une troupe soudée, une équipe réunie autour d’un projet fédérateur et des deux concepteurs. Même si tel ou telle est arrivé(e) en cours de route, on sent une fraternité artistique, une cohésion de groupe stimulantes et une joie de jouer et de chanter ensemble très communicative. Aucun accident ne peut entamer cette unité. Ce soir, Mathilde Etienne, blessée à la cheville, tient à assurer sa participation – elle chante Mélantho – et la voici portée dans les bras sur scène, et aux saluts applaudie par ses confrères. Le ténor David Hansen est souffrant : ne joue-t-il pas « la fragilité humaine » ? Il est remplacé au pied levé et avec quelle luminosité ! par Emiliano Gonzales Toro qui connait par cœur tous les rôles.
Fluidité de la représentation
Un chef d’orchestre ne désigne pas seulement l’homme ou la femme qui tient la baguette. Mais le maître d’œuvre et l’exécutant majeur d’une entreprise. Ici le chef d’orchestre chante de surcroît le rôle d’Ulysse. Magnifique ténor, Emiliano Gonzales Toro assure, par sa présence, sa chaleur, son attention la cohérence et la fluidité de la représentation. La fusion obtenue entre tous les membres de « sa troupe comble les oreilles et les yeux. Et il donne du héros une image complexe, fouillée, de son réveil sur la rive d’Ithaque (« Dorma encora, o son desto ») à l’union des deux époux. Mendiant incognito, il enroue sa voix devenue tremblante, pour, une fois la cape enlevée, faire du héros martial le vainqueur viril de l’épreuve de l’arc. Ce qui force l’admiration est le mordant de la diction, la projection des mots et des syllabes, la force du discours, l’harmonie de la ligne de chant, la maîtrise du souffle, l’intelligence des situations. La plainte initiale de Pénélope en tenue de deuil « Di misera regina » révèle le timbre poignant de Fleur Barron, mezzo-soprano infiniment expressive. Elle fait de la reine mythologique la figure universelle de la douleur. Devant l’empressement des prétendants ridicules, elle use d’une ironie subtile, et sa lente reconnaissance de l’époux se teinte d’une forme d’autodérision bienvenue. Qui distinguer sans injustice dans la pléiade des chanteurs ? Le trio des prétendants qu’on ne saurait confondre tant leur voix et leur jeu s’avèrent subtilement variés, Anders Dahlin (Pisandre), Nicolas Brooymans (Antinoos) et Juan Sancho( Amphinome), le Télémaque lumineux de Zachary Wilder, l’Iro glouton et drôle de Fulvio Bettini, le bondissant et spirituel Eumée de Nicolas Scott, le quatuor des Dieux – Neptune profond de Chrisitan Immler, Jupiter juvénile de Juan Sancho (bis), plus fragile Junon de Lysa Menu, superbe Minerve d’Emoke Barath, le séducteur Alvaro Zambano, autre ténor de cette partition très ténorisante, Mathilde Etienne la courageuse, et la claire Ericlée d’Alix Le Saux. Répétons-le. Ce ne sont pas seulement des chanteurs (et des comédiens) soucieux de leurs rôles. Ils manifestent un esprit de troupe soudée et harmonieuse.
I Gemelli renforce encore la cohésion du groupe : engagement des interprètes, accentuation des contrastes, saveur des sonorités « baroques » aux audacieuses couleurs, élégance du discours musical, délicatesse des affetti, rythme, entrain, inventivité jusqu’à l’utilisation rare de la « tromba marina » pour annoncer Neptune et sa colère. Tout respire, vibre et vit.
Monteverdi ce soir apparaît comme ce génie musical plein de sève et d’ardeur, sachant accompagner les hommes dans leurs plaintes et dans leurs joies. Merci à tous de rappeler cette vérité.
Evohé ! Ulysse est bien de retour ! Evohé ! Monteverdi est bien vivant !
Jean Jordy
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