Haendel, Oreste. Toulouse. Version concert. Emelyanychev/ Fagioli. Le 01/07/2021.
Il Pomo d’Oro; Maxim Emelyanychev : Clavecin | Direction; Franco Fagioli : Oreste; Siobhan Stagg : Ifigenia; Inga Kalna : Ermione; Krystian Adam : Pilade; Biagio Pizzuti : Toante; Margherita Sala : Filootete
Musique: *****4*****
Oreste de Haendel : un étincelant patchwork signé Fagioli
Oreste a été créé au théâtre de Covent Garden, le 18 décembre 1734. Dans Oreste, rien ne se perd, tout est recyclé. Pour éviter qu’une musique ne s’efface des mémoires, les compositeurs baroques très sollicités avaient coutume de la récupérer pour lui donner une seconde vie ailleurs. Le résultat de ce recyclage se nomme pasticcio. Oreste relève en quasi totalité de ce procédé de régénérescence : la trentaine des numéros qui le composent, sauf récitatifs et danses, est empruntée à d’autres œuvres du compositeur. Les musicologues en ont dénombré seize (deux cantates, quatorze opéras) revenues dans le circuit. Le sujet est lui-même un amalgame qui doit aux grands tragiques grecs, Iphigénie en Tauride d’Euripide, Elektra de Sophocle, Les Euménides d’Eschyle. Les péripéties en sont complexes, le résumé est (un peu) plus simple.
Oreste, tourmenté par les Érinyes après son parricide (le meurtre de Clytemnestre pour venger son père Agamemnon) se rend en Tauride se livrer en sacrifice à Diane. Iphigénie, sa sœur compatissante, est la prêtresse de la déesse. Toante roi cruel de ce royaume, ayant appris par un oracle qu’il périrait de la main d’Oreste, fait exécuter par précaution tout nouvel arrivant. L’opéra qui se déroule sur une seule journée raconte les péripéties de ce séjour risqué, mais qui finit bien pour le héros.
Dans cet opéra baroque où tout parle de mort (à subir, à donner, à partager), les airs déroulent leurs affetti d’angoisse, de furie, de mélancolie et de tendresse. Des mises en scène récentes ont pris leur distance pour travestir l’œuvre devenue cocasse. On peut ainsi voir sur la Toile une Ermione surgir en combinaison de plongée écarlate, avec masque et tuba ! Le parti pris de la version concert proposée à Toulouse après Paris (le 14/06/2021), réduite à une succession d’arias tissés par des récitatifs oscille entre sérieux tragique et prouesse vocale déchaînant l’enthousiasme.
On connaît les affinités du contre ténor Franco Fagioli avec Haendel. Le CD Handel Arias paru en 2018 s’ouvrait avec le premier air d’ Oreste « Agitato da fiere tempeste ». Entendu en direct à la Halle aux Grains de Toulouse, l’intensité de la virtuosité est redoublée par la présence physique du chanteur, puissamment engagé, la projection de la voix, l’impact immédiat sur le spectateur. Fagioli se jette à corps perdu dans le chant. Domptant un naturel qui fuit parfois la modération, il offre une prestation aboutie, sans les excès qu’on a pu ailleurs épingler. De bout en bout, la voix reste belle dans l’aigu et dans le grave, la maîtrise du souffle exceptionnelle, la technique époustouflante, le brio intact. L’air initial venu d’Agripinne « Pensieri, voi mi tormentate » apparaît pénétré de douleur. « Doppo l’orrore » pris à Ottone permet au contre ténor de briller par une cadence à la fois mélodieuse et virtuose.
L’aria di furore « Empio, se mi dai vita » issu de Radamisto accuse peut-être une perte de régime, mais reste ardent, vibrant de colère. In mille dolci modi séduit par l’élégance de la ligne musicale, Franco Fagioli trouve dans l’Ermione d’Inga Kalna une partenaire à sa hauteur. Subtile musicienne, la soprano lettone brille dans un air d’entrée plein de charme « Io sperai di veder il tuo volto », un « Dite pace et fulminate » aux contrastes vigoureux et aux vocalises assurées, un « Non sempre invendicato » passionné. Le duo entre les deux époux à la fin de l’acte II demeurera dans la mémoire des spectateurs éblouis.
Siobhan Stagg paraît ce soir plus en retrait. Le rôle d’Ifigénia est, il est vrai, plus mièvre. Mais sa voix souple qu’un léger voile couvre parfois rend le personnage touchant. Pilade fournit au généreux ténor Krystian Adam, l’occasion de faire valoir des vocalises assurées dans « Del fasto di quell’alma ». Le noble baryton Biagio Pizzuti prête au roi cruel une noirceur que révèlent ces deux airs bien scandés. La Filotete de Margherita Maria Sala est une vraie révélation. Son aria du I, sa présence active dans tous les récitatifs lui assurent une place de choix due à un mezzo charnu et à une présence dramatique de belle autorité. Au clavecin et à la direction de la formation ô combien experte en domaine haendélien, Il Pomo d’Oro, Maxim Emelyanychev, à la vitalité bien connue, empoigne la partition et fait jouer les contrastes et les sonorités charnues d’un ensemble plein de suc et de nerf. Le chœur final, redonné en bis, et son menuet initial couronnent une soirée musicale brillante, tonique, revigorante.
A ma connaissance, aucun enregistrement n’est prévu. Mais les maisons de production peuvent se sentir intéressées devant la réussite de l’entreprise et la qualité des interprètes.
Car ce fut en effet une bien belle fête baroque.
Has this been recorded? Fine, vivid review – I’d love to hear the performance.