BARBE-BLEUE
Souvenirs lyriques de Barbe-Bleue
Couplée avec l’OEdipus Rex de Stravinski, la version discographique par Ferenc Fricsay du Château de Barbe-Bleue de Bela Bartók (1918) nous a durablement marqué. Deux immenses interprètes Dietrich Fischer-Dieskau en Barbe-bleue, Hertha Töpper en Judith traversaient le château ténébreux et la musique puissamment évocatrice de Bartók, mais en langue allemande, et non en hongrois.
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Quatrième épouse de Barbe-Bleue, Judith obtient par amour de son mari de visiter toutes les pièces du château qui recèle des trésors, à l’exception d’une seule. Audacieuse, animée d’une inlassable curiosité, voulant tout connaître des secrets de l’époux, elle transgresse l’interdit et rejoint la cohorte des épouses non pas mortes mais délaissées, laissant à nouveau Barbe Bleue seul et désemparé. On ne compte plus les concerts et les mises en scène de ce chef d’œuvre absolu dont on trouve sur Internet de nombreuses versions, toujours saisissantes. C’est grâce à Iván Fischer en concert à la tête du Budapest Festival Orchestra que nous avons éprouvé une émotion comparable et dans la langue originale.
Iván Fischer parle du Château de Barbe-Bleue et du lien entre Bartók et la musique folklorique.
Le chef hongrois, récitant du Prologue, introduit l’œuvre selon le vœu même du librettiste Béla Balàzs, assez rarement exaucé : « Le conte est vieux, / qui va vous être narré, /mais à quel monde appartient-il ? /le réel ? l’irréel ? ». Puis il construit une superbe architecture musicale, conduisant des ténèbres initiales jusqu’à l’éclatant fortissimo lié à la révélation de l’immense domaine princier (cinquième porte), puis à la lourde et terrifiante retombée dans la solitude finale. Les instruments de torture crissent à souhait (première chambre) et les armes rutilent fièrement derrière la deuxième porte, faisant vibrer tour à tour les bois et les vents. L’évocation du lac des larmes (sixième climat) saisit par l’infinie délicatesse de l’orchestre créant un malaise profond, une tristesse infinie. « Au fond nous faisons notre entrée dans le monde avec des larmes et nous en sortons avec des larmes. Elles encadrent notre existence… ».
C’est à propos du Château de Barbe-Bleue que Bartók aurait ainsi défini la vie. L’interprétation d’Ivan Fischer en exprime puissamment l’amertume. On peut en retrouver une version sur YouTube. Et nous avions beaucoup apprécié le couplage mis en œuvre en octobre 2015 à Toulouse par Aurélien Bory entre Il Prigioniero de Luigi Dallapiccola et l’opéra de Bartok. L’idée originale de cet appariement exploité dans quelques théâtres (Milan, Amsterdam, Toulouse) reviendrait à Pierre Boulez auquel on doit plusieurs enregistrement du Château de Barbe-Bleue, dont un avec la Judith impressionnante de Jessye Normann. Avec Dukas et Bartok, nous voilà bien loin de la morale en vers signée Charles Perrault. La musique, telle la psychanalyse, a su derrière l’apparence révéler des sens profondément enfouis.
La curiosité, malgré tous ses attraits,
Coûte souvent bien des regrets.
On en voit tous les jours, mille exemples paraître.
C’est, n’en déplaise au sexe, un plaisir bien léger.
Dès qu’on le prend, il cesse d’être,
Et toujours, il coûte trop cher.
De Grétry à Bartok, le parcours musical autour de la figure de Barbe-Bleue ne va pas sans choc émotionnel. Cette figure terrifiante interroge sans cesse sur nos peurs et nos frustrations, sur le désir d’enfreindre, sur la tentation, sur le mal. Il est naturel que la musique s’en soit emparée pour en exploiter l’infinie complexité. Pour retrouver l’esprit d’enfance et celui de Perrault, on orientera le lecteur vers l’opéra pour enfants Douce et Barbe Bleue, dont le compositeur est une femme, Isabelle Aboulker (née en 1938). En voici un aperçu.