Zu unseren Schwestern, zu unseren Brüdern

    Zu unseren Schwestern, zu unseren Brüdern 

Diptyque composé de « En vertu de… » d’Eugen Birman et de « Der Kaiser von Atlantis » de Viktor Ullmann. Hémicycle du Parlement européen et au Grand Théâtre de Luxembourg. Vu: le 20 janvier 2022 par Stéphane Gilbart d’Opera Gazet.

EN VERTU DE… (CRÉATION MONDIALE) Créé le 20 janvier 2022 à Luxembourg.  Mise en scène:  Stéphane Ghislain Roussel; Compositeur: Eugene Birman; Direction musicale: Corinna Niemeyer; Régie générale: Johannes Haider; Baryton: Michel de Souza; Solistes de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg.

DER KAISER VON ATLANTIS Musique: Viktor Ullmann;  Livret: Viktor Ullmann & Peter Kein; Créé le 16 décembre 1975 à Amsterdam; Mise en scène: Stéphane Ghislain Roussel; Direction musicale: Corinna Niemeyer; Régie générale: Johannes Haider; Orchestre: Orchestre de Chambre du Luxembourg ; Kaiser Overall (baryton): Michel de Souza; Der Tod (basse): Julien Ségol; Harlekin (ténor): Benjamin Alunni; Der Trommler (mezzosoprano): Raphaële Green; Der Lautsprecher (baryton-basse): Jean-Christophe Fillol; Bubikopf (soprano) Margaux de Valensart; Ein Soldat (ténor): Alexander Gebhard

Musique : 4*
Mise en scène : 4*

Un opéra juridique et humaniste

C’est un projet original que viennent de concrétiser et de réussir Stéphane Ghislain Roussel et ses partenaires. Un texte juridique essentiel à nos démocraties est devenu le livret d’un opéra que l’on découvre dans le lieu le plus approprié. Il compose un diptyque bienvenu avec un autre opéra composé en des temps apocalyptiques.

Zu unseren Schwestern
© Bohumil Kostohryz

Rendez-vous à l’hémicycle du Parlement européen au Kirchberg-Luxembourg ! Telle est la consigne ces jours-ci pour les amateurs d’opéra. Une délocalisation qui surprend d’abord, mais qui prend vite tout son sens. Le livret de  En vertu de…, l’œuvre représentée, est en effet un collage de différents articles de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Une proposition étonnante, mais musicalement accomplie dans la partition d’Eugène Birman, interprétée par un baryton, une flûtiste, un clarinettiste, un saxophoniste et la cheffe d’orchestre. Le compositeur a, dans une partition aux tonalités contrastées et conjuguées, magnifiquement réussi à restituer les réactions fortes nées de la découverte de textes juridiques évolutifs. Ensuite, les spectateurs rejoignent sans tarder le studio du Grand Théâtre pour y découvrir le deuxième volet du diptyque : Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann ou l’histoire d’un empereur dont une décision tyrannique suscite une réaction radicale de la Mort : elle se met en grève.

Zu unseren Schwestern
©Bohumil Kostohryz

Dramaturgiquement, cela est bien pertinent. La Convention européenne des Droits de l’Homme, adoptée en 1950, voulait, juste après des temps de terreur et d’horreur, affirmer et imposer solennellement (c’est une « convention » et pas une simple « déclaration ») les valeurs humanistes. Le temps a passé, et ses affirmations idéales ont subi peu à peu des altérations. Pour les auteurs du projet, l’idéal s’essouffle, l’idéal s’effrite, l’idéal se délite. Le risque serait donc d’en revenir aux temps maudits, ceux dénoncés par l’opéra d’Ullmann, ceux de dictatures mortifères. Heureusement contrebalancés dans la fable par la grève de la mort et la défaite de l’empereur, et donc ouvrant la possibilité d’une nouvelle Convention des Droits de l’Homme. Pour concrétiser davantage le propos d’Ullmann, Stéphane Ghislain Roussel l’a inscrit dans les circonstances de sa création : le camp de Terezin-Theresienstadt, lieu de rassemblement d’artistes juifs de toute façon promis à Auschwitz-Birkenau.

Dans le contexte réaliste de l’hémicycle européen, la partition d’Eugène Birman, la conjugaison des trois instruments, un inquiétant bruit de fond modulé, et la superbe prestation du baryton Michel de Souza métamorphosent l’intellectualité de textes juridiques en émotions bouleversées. Au Grand Théâtre, la scénographie et les costumes de Peggy Wurth nous plongent dans l’atmosphère dantesque des camps de concentration-extermination, nous donnent à voir ce que fait naître la négation des valeurs démocratiques fondamentales. Les lumières de Jean-Pierre Michel sont tout aussi significatives. Stéphane Ghislain Roussel joue le jeu de la farce tragique, avec des personnages saisis dans les stéréotypes de leurs représentations (la faux de la mort, le costume d’Arlequin, le grand manteau de l’Empereur). Son illustration est au service de sa démonstration. Mais au-delà des apparences, c’est leur chant, superbement assumé par chacun des interprètes, qui dit aussi chacun de ces personnages dans sa réalité fabulesque, dans sa réalité humaniste. Comme elle est convaincante cette musique dont l’instrumentation inaccoutumée dépendait des instruments et des musiciens « disponibles » ces jours-là au camp de transit de Terezin. Au Grand Théâtre, ce sont ceux de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg (eux aussi costumés historiquement) qui en ont pris le relais, si bien conduits, dans toutes les belles nuances de la partition (de l’élégie à la farce) par leur cheffe, Corinna Niemeyer.

Voilà donc un projet original qui, à la fois, interpelle, fait réfléchir, émeut, réjouit et continue à nous suivre la représentation achevée.

Stéphane Gilbart

 

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Stéphane Gilbart

REVIEWER

Based in Luxembourg, but lyrically nomadic . With eclectic tastes, and always happy with the surprises that opera continues to offer him : other soloists, another conductor, another director, just a new one, etc. Happy also to share what he lived here, there or elsewhere.

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