Opéra National de Lorraine. RIGOLETTO de Giuseppe Verdi. Livret : Francesco Maria Piave, d’après la pièce de Victor Hugo, Le Roi s’amuse. Jusqu’au 1 juillet 2021. Date du spectacle: dimanche 27 juin.
Le Duc de Mantoue : Alexey Tatarintsev; Rigoletto : Juan Jesús Rodríguez; Gilda : Rocío Pérez; La mère de Gilda : Agnès Letestu; Sparafucile : Őnay Köse; Maddalena : Francesca Ascioti; Comte Monterone : Pablo Lopez; Marullo : Francesco Salvadori; Borsa: Bo Zhao; Comte Ceprano : Samuel Namotte; Giovanna : Aline Martin; Le Page : Inna Jeskova; Comptesse Ceprano : Jue Zhang; Orchestre de l’Opéra national de Lorraine; Direction musicale : Alexander Joel; Mise en scène : Richard Brunel
Musique: *****4*****
Mise en scène: ****4****
A l’Opéra national de Lorraine, Richard Brunel propose une lecture de Rigoletto, dont les libertés de lecture ne portent pas atteinte à ce qui en a fait une œuvre sans cesse représentée et toujours appréciée.
« La scène se passe à Mantoue et alentour », nous dit le livret. Nous allons y vivre une terrible histoire tragique, celle de Rigoletto, bouffon difforme du Duc de Mantoue, absolument dévoué à son maître, cruellement prêt à tout pour lui. Mais voilà que ce maître, qui multiplie les conquêtes, s’en prend à Gilda, la fille cachée du bouffon. Désespoir fou de celui-ci, désir tout aussi fou de vengeance ; fatalité, tragédie. Tout est mal qui finit mal.
Mais voilà que, quand le rideau se lève, nous découvrons non pas une salle d’un palais, mais les coulisses d’un théâtre où se déroule une représentation de ballet. Le « Duc de Mantoue » est devenu le « maître » de ce ballet ; Rigoletto, son adjoint. Ce directeur de ballet est un prédateur, usant et abusant de ses danseuses ; Rigoletto est à son service, « homme à (vraiment) tout faire » pour lui. Détournement de l’œuvre ? « Me Too » facile ? Non.
L’intrigue, sa caractérisation des personnages, son engrenage inexorable, sont préservés, et les séquences dansées ajoutent une touche esthétique et significative bienvenue, en accompagnement ou en contrepoint de ce qui se joue. Avec même une touche d’humour quand le choeur des courtisans, qui se réjouit des malheurs du bouffon, se risque à une danse balourde. Jamais cette transposition ne vient compromettre les grands moments du récit ni leurs merveilleux déploiements vocaux. Verdi, sa partition, ses interprètes, sont là et bien là, en toute lisibilité, audibilité.
Une autre idée de Richard Brunel est de faire apparaître – le rôle est confié à une danseuse – le fantôme de l’épouse morte et tant aimée de Rigoletto, celle qu’il chante si magnifiquement. Le fantôme de la maman de Gilda, leur fille, si présente dans les rêves de l’adolescente. Un fantôme témoin de ce qui se précipite, réconfort du bouffon fracassé, accueil de la jeune fille sacrifiée. Une présence dramaturgiquement pertinente.
A cause du Covid, le nombre des instrumentistes autorisés dans la fosse d’orchestre a été radicalement réduit (ainsi notamment, une flûte, un hautbois, une clarinette). Frédéric Chaslin a réalisé et réussi (comme il l’avait fait pour la Tosca actuellement à La Monnaie) une « réduction » qui, une fois de plus, et on en prend l’habitude, confère davantage de nuances et d’intimité à des séquences qui normalement déferlent. Cela nous vaut de beaux duos entre une voix et un instrument, cela nous permet de mieux percevoir certaines architectures de la partition.
Alexander Joel, le chef, prouve combien il maîtrise cette œuvre, dans ses moyens et dans ses effets, et vit manifestement une belle rencontre épanouie avec l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra national de Lorraine
Juan Jesus Rodriguez impose son Rigoletto, dont seule une canne indique l’infirmité : c’est bien dans les facettes de son chant, railleur cruellement triomphant, mari inconsolable, père désespéré et vengeur, qu’il incarne son personnage. Alexey Tatarintsev est un Duc de Mantoue-Maître de ballet instinctif, content de lui, joueur comme un chat qui déchiquète ses victimes. La Gilda de Rocio Perez, aux justes apparences juvéniles, réussit, elle, à conjuguer l’innocence de son personnage, son affection pour son père, sa désillusion devant la trahison, son sacrifice par amour, dans un chant qui s’impose de plus en plus. Önay Köse est un redoutable Sparafucile, voix et présence impératives. Francesca Ascioti (Maddalena), Pablo Lopez (Monterone), Francesco Salvadori (Marullo), Bo Zhao (Borsa) et Samuel Namotte (Ceprano) leur donnent les répliques qui conviennent. Quant à Agnès Letestu, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, elle incarne à merveille, présence dans l’absence, le fantôme de l’épouse de Rigoletto, de la mère de Gilda.
Un Rigoletto à découvrir plus tard à Toulon, Rouen et Luxembourg.
Stéphane Gilbart
©Opera Gazet/©Crescendo Magazine