In memoriam Jodie Devos – Un feu pétillant s`est éteint

In memoriam Jodie Devos
Un feu pétillant s’est éteint

Jodie Devos est décédée. La nouvelle résonne comme un scandale. Comment associer la mort brutale et le nom d’une chanteuse qui était la vie même, le rire, la joie, la lumière et le talent immense. Le décès de la soprano colorature belge Jodie Devos nous attriste. Nous pleurons la jeune femme de 35 ans foudroyée par une forme rare de cancer et nous pensons à sa famille, à ses proches et à tous ceux avec lesquels elle a partagé opéras, concerts, récitals, enregistrements. Et nous déplorons la disparition d`une grande artiste, à la carrière déjà étincelante, et cependant si jeune, promesse de tant de rôles, de tant d`émotions lyriques, de tant de joies musicales.

Faire la liste non exhaustive des personnages d`opéras que Jodie Devos a interprétés donne simplement l`indication de sa tessiture et la diversité de son parcours, l`étendue de sa curiosité. Ici et là, sur les scènes et en replay, Lucia, Blonde, Ophélie, Philine, Olympia bien sûr, et la Reine de la Nuit… Elle devait aborder Violetta à Tours dans un an. Et elle restera associée à Offenbach, si finement chanté à la scène, pour son disque couronné par les spécialistes et le succès public Offenbach coloratura. On pouvait y entendre sous la houlette de Laurent Campellone des pages rares de Boule-de neige, Vert-Vert, Un Mari à la porte qui voisinait avec L`Olympia des Contes, Fantasio et le Roi-Carotte. Et quelle jolie idée que ces Bijoux perdus enregistrés sous la direction alerte de Pierre Bleuse à la tête du Brussels Philharmonic, où elle unissait dans le même scintillement Ambroise Thomas, Halévy, Adam, Auber, Meyberbeer dans des airs peu fréquentés, pour une défense passionnée et subtile de l`opéra-comique français. Et loin des sentiers battus, avec quelle tendresse elle avait su avec Nicolas Krügen au piano distiller les mélodies de Bridge, Poldowski, Vaugham Williams, Britten, Darius Milhaud, Germaine Taillefer et… Freddie Mercury. De son compatriote Philippe Boesmans décédé quelques mois plus tôt, elle avait créé en décembre 2022 l`opéra burlesque d`après Feydeau On purge bébé ! Et ébloui dans un rôle à la tessiture insensée pour traduire l`hystérie d`un personnage extravagant.

Mais cette liste et ces rappels disent peu de la simplicité d`une chanteuse joviale, claire, lumineuse, de ses compétences techniques, de sa maîtrise de la scène, de sa passion et de sa curiosité musicales, de sa joie de chanter,de partager avec ses partenaires et le public, d`investir les personnages d`amoureuse passionnée (son Ophélie), de femme blessée (sa Lucia) ou de petite peste (on pense à sa Philine dans Mignon). Comme les grandes coloratures avant elle (Dessay évidemment), elle savait transformer la virtuosité en étincelles pleines de sens et d`humour ou en éclats tragiques. Comme les plus grandes, elle avait su faire de rôles parfois plus brillants que profonds des personnages cocasses ou « cassés », loin des caricatures qui leursont associées.

On nous pardonnera de partager des souvenirs personnels. Mais il nest d`hommage que profondément ressenti. Nous l`avions entendue à Toulouse en février 2018 dans un récital. Nous écrivions : « La jeune chanteuse belge a donné ce jour dans le cadre des Midis du Capitole un récital ciselé et lumineux construit essentiellement sur des poèmes en langue française (Verlaine, Mallarmé, Apollinaire, Cocteau…) mis en musique (Debussy, Poulenc, Roussel). Le choix des textes et des mélodies relève du goût le plus sûr et leur interprétation fait valoir une diction nette, une perception de la poésie déliée, le sens du dire et du mot, une voix radieuse, fraîche et vive, des vocalises virtuoses, une musicalité ô combien séduisante » . Et nous l`avons entendue plus tard au Capitole en sœur Constance des Dialogues des Carmélites dePoulenc: « « Jodie Devos, source d`eau limpide, incarne une Sœur Constance comme on en rêve tous, fraîche, spontanée, lumineuse, irradiant la bonté et la foi, spontanée, rieuse, vivante, avec un timbre de miel », 25 novembre 2019).

Cette voix, cette lumineuse fraicheur, cette intelligence musicale nous manqueront.

Jean Jordy

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Jean Jordy

REVIEWER

Jean Jordy, professeur de Lettres Classiques, amateur d'opéra et de chant lyrique depuis l'enfance. Critique musical sur plusieurs sites français, il aime Mozart, Debussy, Rameau, Verdi, Britten, Debussy, et tout le spectacle vivant.

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Kersten van den Berg
Kersten van den Berg
3 mois il y a

Quem di diligunt, adulescens moritur. R.I.P.