La flute enchantée à Barcelone :
soirée triomphale pour un conte philosophique
La Flûte enchantée, K. 620, dont le titre original en allemand est Die Zauberflöte, est un opéra chanté en allemand (Singspiel) composé par Mozart sur un livret d’Emanuel Schikaneder. La première représentation a lieu le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne, au théâtre de Schikaneder (Theater auf der Wieden), petite salle en bois. C’est dans cet opéra que l’on entend le célèbre air de la Reine de la Nuit et plusieurs autres airs ou chœurs, comme l’air de l’oiseleur, le duo de Tamino et Pamina, les deux airs de Sarastro. Mozart, quant à lui, rendit un hommage à Jean-Sébastien Bach : en effet l’air « Der, welcher wandert diese Straße voll Beschwerden » dans le final du 2e acte est directement inspiré de l’air « Blute nur, du liebes Herz » de la Passion selon saint Matthieu. Mozart reprend même à la note près (mais dans une autre tonalité) la mélodie de Bach.
Spectacle visité : 1 juillet 2022, Liceu, Barcelone.
Chef d’orchestre : Paolo Bortolameolli ; Mis-en-scène: David McVicar ; Sarastro : Stephen Milling ; Tamino : Javier Camarena ; Orateur : Matthias Goerne ; prêtres : Albert Casals et David Lagares ; La Reine de la Nuit : Kathryn Lewek ; Pamina : Lucy Crowe ; première dame : Berna Perles ; deuxième dame : Gemma Coma-Alabert ; troisième dame : Marta Infante ; Papagena : Mercedes Gancedo ; Papageno : Thomas Oliemans ; Monostatos : Roger Padullés
Musique : 4****
Mise en scène : 5*****
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Avant dernière représentation pour la Flûte Enchantée au Grand Théâtre du Liceu de Barcelone qui reprend la mise en scène désormais culte de David McVicar créée pour l’Opéra Royal de Londres en 2003 (et entre temps immortalisée en DVD). Le plaisir est entier de retrouver ce qui a fait le succès de cette production : d’abord la caractérisation des personnages dont chacun est associé à des objets symboliques; ensuite le sens théâtral propre à McVicar qui parvient à faire de chaque entrée de personnage un vrai événement ; ou encore la dynamique de jeu, les transformations scéniques ; enfin et surtout ses grandes qualités esthétiques. Ainsi des fonds de scène reproduisant ici une nuit étoilée, là la lumière du savoir éclairant le monde, les costumes des initiés empruntés à la bourgeoisie maçonnique du XVIIIième siècle ou encore l’onirique char volant des trois garçons.

La production fidèlement reconduite par Angelo Smimmo subit ce soir là un petit problème technique qui empêche le soleil de s’illuminer lors du final et on peut regretter une interprétation légèrement en deçà des représentations de Londres au moins pour certains protagonistes. L’orchestre symphonique du grand Théâtre du Liceu, entrainé par Paolo Bortolameolli (qui se substituait à Gustavo Dudamel pour deux représentations) adopte des tempi vifs et réguliers appropriés. Il sait s’adapter aux voix des chanteurs et manifeste une excellente compréhension dramatique de ce conte à la fois moral et excentrique. On regrettera simplement de légers manques de précision altérant la netteté de certains effets orchestraux. Les chanteurs sont tous de bonne qualité, même s’il faut reconnaître que certains ont ce soir là plus brillé que d’autres. Kathryn Lewek incarne une merveilleuse Reine de La Nuit : ses attitudes et expressions sont parfaitement en phase avec les excès et la majesté du personnage ainsi que sa voix propre à assumer les difficultés vocales.



Si par moment le souffle faiblit en fin de réplique dans le célébrissime « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » elle le compense par la rage de son intonation. Lucy Crowe incarne véritablement la candeur de Pamina, très convaincante dans l’expression des dilemmes de son personnage et de sa douleur suicidaire. Le Papageno de Thomas Oliemans se donne pleinement dans les dialogues et amuse beaucoup le public par son jeu. Mercedes Gancedo est un point fort de cette distribution avec une Papagena parfaite : malgré son rôle somme toute modeste, elle impose une présence scénique attirant tous les regards et une voix non moins remarquable. Monostatos, rôle souvent négligé trouve ici une place de choix. Roger Padullés interprète son abjection à la perfection (servi également par un costume très réussi symbolisant par son aspect monstrueux l’avilissement pervers du personnage ) et, même si la voix manque parfois de volume, elle se révèle fluide et précise. Stephen Milling convient tout à fait à ce que l’on peut attendre de Sarastro. Sa voix posée et chaude en fait la figure masculine idéale voulue par Mozart et Schikaneder pour symboliser la justice et le savoir.

Les rôles secondaires (citons entre autres Berna Perles, Gemma Coma-Alabert et Marta Infante pour les trois Dames, ou encore le grand Matthias Goerne comme Orateur) ainsi que le chœur du Grand Théatre du Liceu et les solistes du VEUS – Cor Infantil Amics de la Unió ont également pris pleinement leur part dans le succès de cette production. Le Tamino de Javier Camarena est en revanche le maillon faible de ce casting. Bien que sa prestation soit globalement convenable, elle s’avère décevante tant par le jeu que par la voix, souvent monotone et manquant quelque peu de puissance et de clarté. Cette déception n’aura en tout cas pas suffi à calmer l’enthousiasme du public. Cette Flûte aura enchanté les nombreux spectateurs du Liceu qui ont acclamé cette représentation par une longue standing ovation.
Très bonne critique